Ex-Ministres des sports, Marie-George Buffet (1997-2002) et Jean-François Lamour (2002-07) livrent leurs opinions sur la place du sport et de la natation dans notre pays. Deux personnes aux orientations politiques bien différentes, mais qui se rejoignent très souvent en termes de constat et sur les pistes de réflexion à mener.
De quelle manière est-il possible de renforcer la place de la natation dans le sport français ?
Jean-François Lamour : La natation fait partie de ces sports fondamentaux à mes yeux… Pour apprendre à nager, bien sûr, ce qui est important pour les jeunes générations, mais aussi parce que c’est une discipline éminemment télégénique et l’un des deux ou trois sports piliers du programme olympique avec l’athlétisme et la gymnastique. J’en sais quelque chose en tant que vice-président du groupe OVALTO, propriétaire de Paris La Défense Arena, où se tiendront les épreuves de natation (courses olympiques et paralympiques) et les finales de water-polo pendant les Jeux de 2024.
Marie-George Buffet (Députée de la 4ème circonscription de Seine-Saint-Denis) : Moi, je ne fais que passer devant le futur centre aquatique olympique de Saint-Denis. Dans ma circonscription (La Courneuve, Stains, Le Blanc-Mesnil), on est concerné par le bassin d’entraînement de Marville (où s’entraîneront les équipes de water-polo). Il y aura également les épreuves de tir, mais il faut dans un premier temps dépolluer l’ancien Terrain des essences (La Courneuve), là où l’armée stockait son essence. Mais ce sera à La Courneuve, c’est sûr, et puis enfin le village des médias à Dugny. Pour en revenir à la natation, je retiens surtout que c’est un sport ouvert à tous et toutes, aux handicapés, à tout le monde et permettant ainsi à chacun de s’épanouir.
J-F. L. : La natation, c’est un sport à 360 degrés, indispensable à l’éducation de nos jeunes et qui participe à l’organisation du mouvement sportif français. Un sport complet au sens qu’il intéresse tout le monde, un sport très structurant. Vous savez, quand une collectivité construit une piscine, ce n’est pas rien. A minima, cela se rapproche des dix millions d’euros et ensuite il y a un budget de fonctionnement pesant sur les finances des collectivités. La natation est un sport qui aménage le territoire. Construire une piscine est un évènement important dans la programmation politique d’une commune, d’une inter-commune, d’un département ou d’une région.
M-G. B. : Dans mon département, la natation, c’est aussi un besoin : un enfant sur deux en entrant au collège en Seine-Saint-Denis ne sait pas nager d’où le besoin d’héritage Paris 2024. En tout cas, je l’espère sincèrement. La piscine d’Aubervilliers est destinée aux Jeux avec son bassin d’entrainement aux normes et en espérant que d’autres bassins voient également le jour. Nous avons besoin que la natation irrigue l’ensemble de la population et notamment les plus jeunes. Et si on pouvait avoir plus d’heures de sport à l’école, on pourrait avoir plus d’heures de natation, en lien avec les piscines municipales.
Marie-George Buffet, ministre des Sports de 1997 à 2002 (Photo : D. R.)
Vous avez devancé ma question suivante : quel serait pour vous le nombre d’heures idéal de sport par semaine à l’école ?
M-G. B. : On en est à deux heures aujourd’hui et absolument rien en primaire et en maternelle. En plus, pour les petits, c’est aux instituteurs d’organiser des moments d’éducation physique. Il faudrait placer des heures de sport dès la classe de primaire pour donner le goût du sport, combattre l’obésité, faire découvrir, avec des enseignants formés pour cela. Prenez un pays comme la Finlande, par exemple, qui enregistre d’excellent résultats scolaires, et regardez la place accordée au sport à l’école (cinq heures par semaine, ndlr). C’est globalement le cas dans les pays nordiques où la pratique sportive est nettement mieux considérée.
J-F. L. : Pour que ça marche, cela doit partir d’une volonté au plus haut niveau de l’Etat comme cela avait été le cas dans les années 1960 sous De Gaulle. Et puis il y a également un blocage chez les proviseurs et dans l’administration. Ils ont du mal à considérer le sport comme une priorité. Aujourd’hui, c’est plus un handicap pour les principaux de collège, plus un problème qu’une opportunité dans la construction du planning. Pour les enfants, entre le moment où ils quittent l’école pour rejoindre le gymnase, le stade ou la piscine, cela pompe déjà un tiers de leur volume horaire. Deux ou trois heures par semaine, ce n’est vraiment pas à la hauteur de ce que l’on pouvait espérer. Personnellement, je suis un fervent défenseur de quatre après-midi sur cinq consacrées à la pratique sportive. Et cela nécessite évidemment de trouver des équipements, des moyens suffisants auprès des collectivités à travers une vraie réforme !
M-G. B. : Depuis des siècles, le sport n’est pas reconnu à sa juste place dans notre pays. Vous avez vu le colloque organisé par le CNOSF (Comité national olympique du sport français) pour les candidats à la présidentielle ? Seuls trois y ont participé (Jadot, Hidalgo et Roussel) pour présenter leur programme sport. Lors du dernier quinquennat, nous avons eu une proposition de loi sur la démocratisation du sport, intéressante à certains égards, mais pas de grande loi cadre. On est désormais dans une marchandisation à outrance du sport « pro » avec le risque que ce montage financier s’écroule comme un « château de cartes ». Il y a besoin de démocratiser l’accès des filles à la pratique sportive, avant et après la puberté et on n’en discute pas. Il n’y a pas de débat politique sur la place du sport chez nous. Bref, on doit passer à cinq heures de sport par semaine à l’école.
J-F. L. : Des lycées ont mis en place des horaires aménagés afin de permettre à nos espoirs de s’entraîner régulièrement et convenablement. C’est une évolution positive ! Après, je pense qu’à l’école on devrait avoir un tiers de temps consacré au sport et pas uniquement dans la compétition : sur la découverte de son corps, associer sport et culture… Aujourd’hui, tout cela est réduit à sa plus simple expression. Mais il faut une participation des rectorats, des enseignants et, plus important encore, des équipements. C’est tout un chantier ! Cela ne se décrète pas d’un claquement de doigts. A deux ans des Jeux de Paris, il ne faut pas laisser passer cette opportunité. Il est temps d’opérer un rapprochement entre le monde des clubs et l’univers scolaire.
Jean-François Lamour, ministre des Sports de 2002 à 2007 (Photo : D. R.)
Justement, Paris 2024, c’est un virage à ne surtout pas manquer.
J-F. L. : On est tellement heureux d’accueillir les Jeux et de transformer cette arène de Paris La Défense en deux bassins de 50x25 mètres. Nous confier les épreuves de natation, c’est un honneur que nous fait Tony Estanguet et son équipe. J’ai d’ailleurs échangé récemment avec le Président Gilles Sezionale et le DTN Julien Issoulié et je peux vous assurer qu’ils sont très contents à l’idée de venir chez nous.
M-G. B. : Sur la réalisation des JO en eux-mêmes et de leur organisation, je ne me fais pas de soucis. En revanche, il faut absolument utiliser les années qui arrivent pour développer la pratique sportive. Roxana Maracineanu a dit qu’il fallait utiliser les Jeux pour augmenter le nombre de licenciés. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Par exemple, chez moi, en Seine-Saint-Denis, on est sous-équipé. Est-ce que l’on met de l’argent pour les enfants ou pas ?
J-F. L. : Aujourd’hui, le sport français est à la croisée des chemins. Nous sommes en pleine réforme de son organisation avec la création de l’ANS (Agence nationale du sport), qui devient l’interlocuteur privilégié des fédérations et du Comité olympique tricolore, et un sport français organisant une compétition de très haut niveau avec les JO. La France doit réussir ces deux volets dans les cinq ans qui viennent. Doit en résulter un héritage à double face. Et puis il faut aussi en profiter pour répondre à cette question : comment mieux pratiquer le sport en France ? Car le sport n’a pas réellement sa place dans les programmes scolaires. Si on doit laisser un héritage, cela doit être celui-là. L’autre volet lié à cette nouvelle organisation du sport doit permettre de rassembler autour d’elle l’ensemble des acteurs du sport et notamment les collectivités. Ce n’est pas encore le cas, car les régions ont un peu de mal à nouer une relation avec l’Agence. Le projet doit aboutir à une organisation plus lisible de la pratique du sport dans notre pays. Le Ministère a laissé pas mal de ses compétences à l’ANS et on n’en voit pas véritablement les effets pour l’instant. Le CNOSF doit également mieux assoir sa légitimité au sein de cette nouvelle organisation.
Pour résumer vos propos : il y a de gros chantiers pas très lisibles pour l’opinion mais indispensables dans les années à venir. C’est bien ça ?
M-G. B. : Oui, mais pas seulement… Nous avons aussi besoin d’un Ministre des sports de plein exercice (il est aujourd’hui sous la tutelle du Ministère de l’Education nationale depuis 2020). Il faudrait également arriver à 1% du budget pour le sport comme ça a été fait pour la culture. Il doit y avoir un partage entre l’Etat et le mouvement sportif et un Ministre en capacité de travailler avec tout le mouvement sportif afin d’aider au développement des pratiques. Imaginez que l’on dise : le Ministère de la culture sous tutelle ? Mais vous auriez des manifestations dans tout le pays. Le sport, ce n’est pas rien quand même. Et je ne vois pas pourquoi ce serait secondaire dans la gestion d’un gouvernement, ni utopique d’y croire. Quand on regarde l’histoire de France, on a eu une vraie politique sportive avec Herzog sous De Gaulle, une politique de développement du sport en France… Et puis après les Jeux de Tokyo, quand j’entends (Emmanuel Macron) dire aux athlètes que l’on va financer uniquement les médaillés. Là, on ne risque pas de développer une politique sportive pour nos concitoyens.
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Le sport français n’est pas considéré alors qu’il y a en France 18 millions de licenciés, c’est un peu votre constat ?
M-G. B. : Cela commence par une politique publique avec un débat au Parlement afin de conforter le mouvement sportif, que les communes asséchées financièrement ces dernières décennies, et les associations sportives obtiennent les moyens d’un développement de qualité. Avoir une politique publique jusqu’au sport amateur, soutenu à l’époque à travers les emplois aidés, supprimés par Emmanuel Macron en 2017. Sans oublier la menace qui a pesé sur les CTS (Conseillers techniques sportifs).
J-F. L. : Non, le sport français n’est pas assez considéré, c’est une certitude ! D’autant qu’il n’est pas uniforme. Il y a de plus en plus de structures, d’adhérents via les réseaux sociaux qui ne passent plus par la pratique associative. Un mouvement que le CNOSF doit absolument prendre en compte. C’est assez préjudiciable à l’organisation du sport tel qu’on la connaît. Les fédérations doivent s’adapter à cette nouvelle donne. Je ne sais pas si la natation est touchée, mais les sports outdoor, c’est certain, avec notamment des coaches qui organisent leurs sessions sur les réseaux. Dans les clubs, que reste-t-il ? Les jeunes et un public qui demande beaucoup d’attention, notamment de personnes en difficulté.
Pour en revenir à la présidentielle, le sport est invisible dans la campagne. Et comme l’a dit Madame Buffet, seuls trois candidats (Jadot, Roussel et Hidalgo) ont été présenter leur programme sport au CNOSF…
J.-F. L. : Cela ne m’a pas choqué car on en revient toujours à la nouvelle organisation. Qui est le patron ? L’Agence Nationale du Sport ? Le Ministère ? Un patron, un leader qui amène les politiques à venir parler ? Je ne reproche pas aux candidats de ne pas être venu compte-tenu de l’actualité (l’emploi, le Covid). C’est terrible pour moi de vous dire ça, mais ils doivent d’abord convaincre leurs électeurs autour de sujets lourds, qu’avec la guerre en Ukraine, l’Europe est face à des obstacles très importants.
M-G. B. : Je sais bien qu’ils ne peuvent pas être partout… J’ai moi-même fait une campagne présidentielle (en 2007). Le sport n’est pas dans leurs premières préoccupations et je le regrette ! Oui, la campagne a été marquée par le Covid et l’Ukraine, mais lorsque vous êtes candidat au poste suprême, vous devez avoir une opinion, des propositions concernant les grands secteurs de la vie de nos concitoyens. Dix-huit millions de licenciés, cela concerne du monde non ?
J-F. L. : Après, j’ai cru comprendre que les représentants des autres candidats étaient là, mais qu’on ne leur a pas donné la parole. Dommage. C’est une équipe qui gère le pays, un programme, pas une seule personne uniquement.
M-G. B. : A l’Assemblée, chaque groupe dispose d’un professionnel du sport. Si je compare, pour un débat sur l’école, il va y avoir un positionnement plus global qui se fera en amont.
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Vous évoquez la guerre en Ukraine. Les sportifs paralympiques russes et bélarusses ont été exclus des derniers Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Qu’en pensez-vous ? Le sport doit-il être apolitique ?
J-F. L. : J’ai toujours été contre le boycott jusqu’à cette crise ukrainienne. Je l’avais vécu à Moscou lors des Jeux 1980 (pendant la Guerre froide), sans hymne, sans drapeau français et avec une délégation réduite. La France n’avait pas suivi le boycott total des Etats-Unis ou de l’Italie.
M-G. B. : A partir du moment où le CIO a pris cette décision, il faudra qu’il soit capable de le faire sur d’autres conflits, ce qui va poser un certain nombre de problèmes. Moi, je m’interroge : le handisport russe est-il responsable des actes d’un dictateur autoritaire ? Le peuple russe est victime des agissements de son leader. Est-ce les sportifs russes qu’il faut sanctionner ? Quand on a dit à la délégation handisport russe : « Faîtes vos valises ». Cela embête-t-il Poutine ? Pas vraiment ! Il peut même s’en servir en répliquant : « Regardez, on est les martyrs ». Et ce sont les athlètes qui paient le prix alors qu’ils ne sont pas responsables de la politique meurtrière de leur chef d’Etat.
J-F. L. : Moscou 1980, je l’avais très mal vécu, mais aujourd’hui, les athlètes ont une place plus importante dans la société (réseaux sociaux). Il est donc naturel qu’ils aient exprimé leur opinion de ne pas concourir face aux Russes. J’ai évolué. Avant, j’étais plutôt enclin à rester le plus possible en dehors de tout ça.
M-G. B. : Des pays occupent d’autres pays… Il y a une guerre au Yémen, la Palestine… Si je suis pour ou contre le boycott des athlètes russes ? Ce n’est pas à moi d’être favorable ou non… En revanche, si on est ferme, il faudra l’être partout.
Propos recueillis par Antoine Grynbaum