Le Directeur technique national Julien Issoulié dresse le bilan de la première semaine de compétition des championnats du monde de Gwangju. Après l’eau libre, le plongeon, la natation artistique et le beach water-polo, c’est au tour des nageurs de prendre possession du bassin coréen jusqu’au 28 juillet.
Le DTN Julien Issoulié lors de la conférence de presse d’ouverture des championnats du monde de Gwangju (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Que retenez-vous de la semaine de l’équipe de France d’eau libre à Yeosu marquée par cinq médailles (une en or, trois en argent et une en bronze) et une place de meilleure nation mondiale ?
Nous avions pour objectif de qualifier quatre nageurs pour le 10 km des Jeux de Tokyo. Trois athlètes l’ont atteint : Lara Grangeon, Marc-Antoine Olivier et David Aubry. En revanche, Aurélie Muller rate sa qualification d’un rien en prenant la onzième place du 10 km des Mondiaux. Il y a, pour moi, une certaine injustice dans ce résultat…
Pourquoi ?
Je pensais que les règles d’arbitrage étaient juste compliquées en water-polo (il est l’ancien directeur du water-polo à la FFN, ndlr), mais en réalité elles le sont également en eau libre.
« Seulement » onzième du 10 km alors qu’elle devait entrer dans le top 10 mondial pour espérer se qualifier aux JO de Tokyo, Aurélie Muller a fait montre de son tempérament hors du commun en arrachant la médaille d’argent du 5 km (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Qu’entendez-vous par-là ?
Aurélie a livré une superbe course ! Elle méritait sa place aux Jeux Olympiques. Mais voilà, il y a eu des « accrochages » dans l’emballage final et elle en a subi les conséquences. Je suis déçu pour elle ainsi que pour la discipline. Nous avons eu beau porter réclamation, ça n’a rien changé.
En avez-vous parlé avec Aurélie ?
Je lui ai exprimé mon sentiment, mais qu’ajouter de plus ? Le plus étrange, c’est que nous avons beau finir première nation mondiale, on ressort de cette compétition avec un sentiment d’inachevé. C’est dommage parce que le groupe s’est très bien comporté. Les jeunes ont montré de belles choses et nos leaders ont répondu présent. Heureusement qu’Axel Reymond s’adjuge le titre mondial du 25 km (vendredi 19 juillet). Ça permet de finir sur une note positive.
Et maintenant ?
Maintenant, place aux Jeux ! Les cartes sont entre les mains des trois qualifiés. Nous aurons bien évidemment notre mot à dire, mais comme les accréditations olympiques sont nominatives, la préparation leur appartient. A eux de tout mettre en œuvre pour viser le podium olympique. Et ils en ont tous les trois le potentiel.
Axel Reymond et sa coach Magali Mérino à l’issue de sa victoire sur 25 km (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Parlons maintenant de la natation artistique. Après un printemps prometteur qui a notamment vu les Tricolores s’illustrer aux World Series de Tokyo et Barcelone ainsi qu’à la super finale de Budapest, les Françaises ont semblé marquer le pas en Corée du Sud. Comment l’expliquez-vous ?
Il faut d’abord noter que les Bleues ont signé d’excellents scores. Reste que dans cette discipline, le jugement a toute son importance. Il est parfois difficile de progresser dans la hiérarchie. Globalement, je trouve que les Françaises sont dans la même dynamique que celle du printemps dernier, sauf que cela ne se concrétise pas. A part pour le duo qui prend la huitième place.
Laura et Charlotte Tremble ont pris la huitième place du duo libre (Deepbluemedia).
N’est-ce pas un peu frustrant ?
Les Françaises ont le niveau. Personne ne me contredira. Au-delà de leurs performances, elles doivent maintenant prendre confiance et montrer aux juges qu’il faut compter avec elles à chaque compétition. Mais oui, ça devient frustrant quand les notes ne reflètent pas l’investissement de ces filles et la qualité de leurs chorégraphies.
Le lobbying n’est-il pas une solution ? On sait d’ailleurs que certaines nations ne s’en privent pas.
Il y a sans doute un rôle de représentation à intensifier, mais ce n’est pas « la » solution. Pour moi, c’est même à la marge du problème. Il importe d’abord d’être irréprochable. Bien sûr que c’est frustrant pour les nageuses et le staff de l’équipe de France, mais la meilleure réponse à donner passe par le bassin. Si nos ballets sont maîtrisés, nous n’aurons rien à nous reprocher, mais nous ne pouvons pas attendre des autres ce que nous ne sommes déjà pas capable de résoudre.
Vous recommandez donc aux Françaises d’ignorer l’environnement de la natation artistique pour se focaliser uniquement sur leur performance.
Si les filles donnent le meilleur d’elles-mêmes alors elles auront gagné et cela peu importe leur place ou les notes que leurs attribueront les juges. Elles auront gagné car elles n’auront rien à se reprocher. Il est impératif de faire abstraction de l’environnement. Et puis à quoi bon arriver sur une compétition en jetant des coups d’œil à gauche ou à droite. Ce n’est que de l’énergie perdue.
L’équipe de France à Gwangju (Deepbluemedia).
Comment jugez-vous la victoire « honorifique » des Français dans le tournoi de beach water-polo organisé en marge des championnats du monde de Gwangju ?
Déjà, c’est toujours bien que la France brille ! Il me semble aussi que nous avons respecté l’institution en sélectionnant en Corée quelques-uns de nos meilleurs éléments. Nous n’avons pas snobé la compétition. Tout a été mis en œuvre pour performer. Ensuite, je tiens à souligner que notre jeu n’a cessé de se bonifier tout au long de la compétition alors que les joueurs n’étaient pas vraiment préparés. Enfin, et c’est peut-être le plus important, nos garçons ont aimé participer à ce tournoi. Ils ont pris du plaisir à évoluer ensemble sous les couleurs de la France.
(Deepbluemedia)
Certains, dont le capitaine Rémi Saudadier, ont même profité de cette expérience pour tirer des enseignements personnels.
Les joueurs tricolores ont compris qu’il y avait là une expérience enrichissante à vivre. De son côté, Nenad Vukanic (le sélectionneur de l’équipe de France, ndlr) a été très attentif aux comportements de ses joueurs. Ce tournoi a été bénéfique à tous les étages, jusqu’au mien (sourire)…
Comment ça ?
A l’issue de cette première édition de beach water-polo aux Mondiaux, je me demande s’il ne serait pas plus adapté d’appliquer ces règles plus ludiques à nos très jeunes joueurs. C’est une réflexion, bien sûr, mais qu’est-ce qui est plus important que le jeu ? Quand je vois les joueurs français à Gwangju, leurs sourires et leur joie d’avoir remporté un tournoi, je me dis que nos jeunes pourraient également en tirer d’immenses bénéfices.
(Deepbluemedia)
Que vous inspire la cinquième place de Benjamin Auffret en finale du tremplin à 10 mètres ?
Je retiens d’abord qu’il valide un quota olympique pour la France. Il a maintenant une année pour se préparer et élever les coefficients de difficulté de sa série de plongeons. S’il veut faire mieux qu’aux Jeux de Rio (Benjamin avait terminé quatrième en 2016, ndlr), c’est le seul moyen.
En 2015, aux championnats du monde de Kazan (Russie), Benjamin Auffret avait déjà terminé cinquième. Il fait montre d’une régularité remarquable dans une discipline particulièrement concurrentielle.
Benjamin, on le connaît. On sait de quoi il est capable. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir ses prestations en World Series chaque année pour mesurer sa régularité. Il fait incontestablement partie des meilleurs plongeurs du monde à 10 mètres. Toutefois, s’il veut bousculer la hiérarchie et grappiller quelques places, il doit prendre confiance en lui et augmenter la difficulté de ses plongeons.
Cela fait plusieurs fois que vous évoquez le mot « confiance » en parlant des athlètes tricolores. Considérez-vous que les nageurs, plongeurs et autres poloïstes de l’équipe de France en manquent ?
Je trouve, en effet, que nous manquons de certitudes. A titre d’exemple, prenons le cas de Benjamin Auffret. Nous savons qu’il est très bon, l’un des meilleurs comme je le disais précédemment, mais actuellement il ne peut pas être sacré champion du monde ou champion olympique parce que d’autres évoluent un cran au-dessus. A lui maintenant de savoir où il veut se placer : soit il conforte sa position actuelle, soit il aiguise son appétit et tente des choses pour essayer de défier les cadors de sa discipline. Cela peut se révéler dangereux, évidemment, mais de manière générale je crois que nos athlètes peuvent encore pousser les curseurs.
Benjamin Auffret, cinquième du tremplin à 10 mètres des Mondiaux de Gwangju (Deepbluemedia).
Plus globalement, la natation française achève sa première semaine de compétition en Corée sur cinq médailles, dont un titre (Axel Reymond sur 25 km). Est-ce que ce bilan vous satisfait ?
Je suis content qu’on en soit là, mais j’aimerais que l’on fasse encore mieux. Je le répète, nous avons le devoir d’être ambitieux ! Il me tarde de voir la natation artistique retrouver le premier plan ou d’assister à l’éclosion d’un jeune plongeur sur la scène mondiale. J’aimerais aussi que dans deux ans (Fukuoka 2021) nos équipes de water-polo se qualifient pour les championnats du monde.
Qu’attendez-vous des nageurs, à présent ?
Que tous les qualifiés évoluent à leur meilleur niveau. Ce serait déjà une belle satisfaction. J’aimerais aussi être surpris, les voir tenter des choses et prendre des risques.
Recueilli à Gwangju par A. C.