Entretien avec Stéphane Lecat, Directeur de la discipline à la Fédération Française de Natation, à la veille de l’étape de Coupe d’Europe LEN 10 km d’Eilat (Israël) qualificative pour les championnats du Monde 2019 de Yeosu (Corée du Sud).
Pouvez-vous nous rappeler les principaux enjeux de la course de dimanche pour les nageurs de l’équipe de France eau libre ?
Sur cette étape de Coupe d’Europe, les deux premières Françaises et les deux premiers Français ayant réalisé les critères préalables valideront leur sélection pour les championnats du Monde 2019 sur l’épreuve olympique du 10 km. Ils sont huit à avoir rempli les critères, deux dames (Aurélie Muller et Lara Grangeon) et six messieurs (David Aubry, Joris Bouchaut, Logan Fontaine, Damien Joly, Marc-Antoine Olivier et Axel Reymond). Cette épreuve est une nouvelle étape sur le chemin de la qualification pour les Jeux Olympiques de Tokyo 2020, puisque les dix premiers nageurs classés aux championnats du monde 2019 seront nominativement sélectionnés pour Tokyo. Notre ambition est de qualifier quatre nageurs aux Jeux, deux dames et deux messieurs, ce qu’aucune nation n’est parvenue à réaliser depuis 2008 et l’introduction de la discipline eau libre au programme olympique.
Les critères établis pour atteindre cet objectif ont-ils produits des résultats conformes à vos attentes ?
J’aurais bien entendu préféré que plus de nageuses réalisent les critères préalables, de par leur résultat sur la Coupe du Monde d’Abu Dhabi en novembre dernier ou de par leurs performances en bassin cet hiver. Je reste convaincu que certaines avaient le potentiel pour y parvenir, mais elles s’y sont sans doute prises un peu tard dans leur démarche. Peut-être certaines n’étaient pas encore assez mûres pour répondre au niveau d’exigence demandé. Ces critères avaient été élaborés par la DTN et les entraineurs de l’équipe de France, avec l’appui des données collectées par Frédéric Barale, dans l’optique de qualifier aux championnats du Monde des nageurs en mesure d’intégrer le top 10. Un résultat extrêmement difficile à aller chercher, tant le système de qualification olympique nominatif est anxiogène. Mais l’équipe de France, avec le statut obtenu aux Mondiaux de 2017 (la France avait remporté 4 titres et deux médailles de bronze en 7 courses, ndlr), se doit d’avoir des objectifs très élevés.
Stéphane Lecat, directeur de l'eau libre à la Fédération Française de Natation (FFN/FL).
Comment expliquer l’abondance de nageurs masculins préqualifiés et le plus faible nombre de nageuses ?
Le nombre de nageuses préqualifiées n’est pas illogique au regard du niveau du demi-fond féminin français à l’heure actuelle. Les nageuses et leurs encadrements ont tendance à se tourner plus aisément vers les épreuves de sprint en bassin. Certaines pourraient certainement s’exprimer en demi-fond mais elles s’orientent vers des épreuves plus courtes. Au niveau international, on trouve de nombreux profils polyvalents du 200 au 1 500 m, voire à l’eau libre, qui n’existent pas chez nous. C’est un peu différent chez les garçons. Nos nageurs qui excellent en demi-fond et en eau libre ont tous réalisé un énorme travail de fond avec leurs entraineurs depuis de longues années, ils ont construit leur carrière sur le long terme, en s’entrainant très dur deux fois par jour depuis dix ans. Et chaque année ou presque, ces nageurs progressent sur 1 500 m comme sur 400 m. Il n’y a pas de hasard, tout passe par le travail. En eau libre, on a vu que Gregorio Paltrinieri et Florian Wellbrock, tous deux venus du demi-fond en bassin, commencent à exceller sur le 10 km. En France, une prise de conscience de certains nageurs de demi-fond sur le fait que les deux disciplines peuvent être bénéfiques l’une à l’autre est en train de s’opérer sous l’impulsion de Philippe Lucas. Il me semble important pour le demi-fond français que tout le monde en prenne conscience, car autrement, nous nous exposons à ne plus être compétitifs sur aucune des disciplines.
A Eilat, les garçons sont six au départ pour deux places aux championnats du Monde. Comment allez-vous gérer la suite pour les non-qualifiés ?
Il y aura nécessairement des déçus dimanche. Mais tout ne s’arrêtera pas là pour eux. Je rappelle qu’il restera deux places à prendre lors des championnats de France (Brive, 23-26 mai 2019) pour les épreuves des 5 et 25 km des championnats du Monde (les nageurs français qualifiés sur 10km ne seront pas autorisés à participer à cette épreuve pour se préserver pour la course à la qualification olympique, ndlr). Nous avons la chance d’avoir une forte densité de nageurs en équipe de France eau libre qui pourrait nous permettre comme en 2017 de remporter de nombreuses médailles. Aussi, en 2020, ces mêmes nageurs pourront ambitionner de se qualifier aux Jeux sur le 1500m en bassin, ils en ont le potentiel. Et puis, Paris 2024 semble une échéance lointaine, mais tout passe très vite, quatre ans peuvent sembler très court dans la carrière d’un athlète. Quoi qu’il en soit, le rôle de la DTN eau libre sera d’accompagner les nageurs qualifiés aux championnats du Monde sur l’épreuve olympique, comme les déçus. C’est notre mission, notre préoccupation, continuer de les accompagner dans leur rêve de médaille olympique, pour Tokyo ou Paris. Je voudrais aussi souligner que je suis très fier du travail accompli par l’ensemble du staff des équipes de France eau libre, seniors, juniors, COMEN, où de très nombreuses compétences cohabitent. J’ai toujours une grande confiance en ce staff pour trouver des réponses aux problématiques que nous rencontrons.
Stéphane Lecat et Aurélie Muller (FFN/FL).
Un mot sur les Juniors qui nageront également demain à Eilat pour se préqualifier aux championnats d’Europe Juniors et s’aguerrir au niveau international.
J’attends de ces jeunes nageurs qu’ils élèvent leur niveau de performance par rapport à ce qu’ils avaient pu montrer sur la Coupe du Monde d’Abu Dhabi en novembre. Cette compétition est une formidable opportunité de capitaliser leur expérience en vue des championnats d’Europe Juniors de l’été prochain en République Tchèque. Et puis, ils ont la chance de vivre de l’intérieur une épreuve de sélection pour les championnats du Monde auprès des séniors, ils pourront s’en nourrir à l’avenir pour être plus forts.
Recueilli à Eilat par Florian Lucas