Nageur émérite, photographe et voyageur, Éric Huynh a profité d’un de ses nombreux périples à travers le monde pour nous présenter la natation argentine.
Rosario est la troisième plus grande ville d’Argentine (derrière Buenos Aires et Cordoba) et elle a deux figures de proue incontournables : le révolutionnaire Ernesto Che Guevara et le footballeur Lionel Messi ! L’Argentine est nettement plus riche que le Ghana ou la Birmanie (que nous avons récemment visités). Le pays pointe au 50e rang des nations pour le PIB par habitant (14 700$/an/habitant) alors que le Ghana émargeait au 136e rang (1 870$/an) et la Birmanie au 200e rang (1 300$/an) (sur 225 pays classés, ndlr). Je m’attendais donc à rencontrer une natation mieux organisée et plus structurée que lors de mes précédentes visites. Mais ce ne fut en réalité pas le cas. La faute, entre autres, à une centralisation trop forte du pays, où Buenos Aires concentre un tiers de la population argentine et presque tous les moyens sportifs. Ainsi, le pays ne dispose que d’un seul centre d’excellence sportif alors que la Birmanie en compte trois. De son côté, Rosario abrite cinq piscines pour un million d’habitants. Un seul équipement est de taille olympique et il est privé ! Je prends rapidement contact avec deux clubs, l’un populaire et l’autre sensiblement plus bourgeois, pour découvrir les conditions d’entraînement.
ESTU FUTBOL CLUB (EFC)
J’ai débuté ma visite par le très populaire EFC. Mon contact s’établit avec Gustavo, le directeur technique. Il s’agit d’un club pluridisciplinaire (22 disciplines), situé dans un quartier modeste de la ville. Je profite d’un jour férié pour aller à sa rencontre accompagné de mon ami Luis qui assurera la traduction en espagnol. La piscine est un bassin de six lignes abrité par une toile qui réchauffe considérablement l’atmosphère. Et même pour moi, rompu aux chaudes températures des bords de bassin, l’air est très vite irrespirable. Dans l’eau, les nageurs sont nombreux. Cette impression est renforcée par le fait que les lignes d’eau ne font que deux mètres de large (contre 2,5 m normalement). 50 cm, cela peut paraître anecdotique, mais cette étroitesse impacte le déroulement de la séance et le comportement des nageurs. En effet, avec des lignes de deux mètres de large, il est très difficile de doubler. Conséquence, l’entraînement doit se décomposer en une myriade de séries très courtes, essentiellement des 25 mètres et des 50 mètres. Même se croiser est difficile. Les nageurs de papillon adaptent leur nage et avancent bras pliés pour éviter de douloureux chocs de mains. Par ailleurs, les lignes sont des lignes bouchons qui ne coupent pas du tout les vagues, rendant les conditions d’entraînement plus difficiles encore. L’eau est à une température de 31°. Le bassin étant partagé avec des enfants et des personnes âgées, il est nécessaire que l’eau soit aussi chaude. Mais pour les nageurs « élites », cela complique les conditions d’entraînement. Ils s’hydratent tous énormément.
(Photo : Luis Vignoli)
Les plots de départ qui équipent le bassin sont en pierre. On est loin des plots « Pékin ». Pourtant, des compétitions se déroulent dans ce bassin qui, de par sa configuration (lignes de deux mètres de large, température étouffante, plots en pierre, aucun gradin), devrait être uniquement réservé à l’entraînement. Gustavo a le regard clair, le cheveu court et une barbe de trois jours. Il règne avec sérieux et autorité sur son groupe de nageurs et donne les départs avec une régularité métronomique. Il est fier de me présenter son club comme le meilleur de Rosario. Les 800 nageurs du club sont encadrés par cinq entraîneurs. Au sein d’EFC, c’est lui qui a monté de toute pièce la section natation. C’était il y a 17 ans. Il en avait alors 18 et était le seul nageur au sein du club multisport. Aujourd’hui, en se basant sur le niveau des sportifs qui la composent, la section natation est devenue la meilleure de toutes les sections de cette structure omnisport.
Il m’indique qu’aujourd’hui, comme c’est férié, il a moins de nageurs qu’à l’accoutumée. J’imagine à peine ce que cela peut donner en temps normal. Le groupe élite est composé de huit nageurs qui s’entraînent le matin, de 6 à 8 heures, et l’après-midi à l’horaire qui les arrange en fonction de leurs contraintes scolaires ou professionnelles. Gustavo leur adresse l’entraînement qu’ils doivent réaliser et ils nagent sous la responsabilité d’un des cinq entraîneurs de l’équipe. Gustavo doit louer les lignes pour ses entraînements. Toutes les piscines ou presque sont privées en Argentine. Le club le pousse à prendre plus de nageurs, mais lui rechigne. Il n’a plus de place dans les lignes et ne souhaite pas se disperser avec un nombre trop élevé de nageurs. Son rêve n’est pas tant d’envoyer un nageur aux Jeux Olympiques, mais simplement de disposer des meilleures conditions d’entraînement pour ses athlètes.
Le groupe est très hétérogène. Il accueille des nageurs « purs », mais aussi des triathlètes et même une nageuse en eau froide, qui représente le pays dans les courses d’eau libre. Comme il n’y a pas d’eau froide à Rosario, elle entraîne son corps au froid en s’immergeant, statique, dans une baignoire de glaçons. Il y a également un nageur handisport qui a pris la sixième place du 100 m dos aux Jeux Paralympiques de Rio 2016. Gustavo m’explique que pour lui, si son équipe est sans doute la meilleure de la ville alors qu’elle est loin d’être celle qui a le plus de moyens, c’est aussi parce qu’elle est capable d’accueillir tout le monde et de prendre en compte les spécificités de chacun.
REGATAS
Durant ce périple argentin, j’ai également rendu visite au club de Regatas qui est, à l’origine, une structure dédiée à l’aviron. C’est un club beaucoup plus select, construit dans l’enceinte même d’un des deux clubs de foot de la ville, Central, qui évolue en milieu de tableau de première division argentine. Si l’on devait comparer ce club à une structure française, on pourrait penser au Racing Club de France. Pour accéder au bassin extérieur, nous cheminons entre les cours de tennis en terre battue, à l’ombre des tribunes du grand stade de football. La population est, à l’évidence, plus aisée, issue de la bonne société argentine. L’entraîneur, Eduardo Alejandro Diaz, est un jeune homme d’une trentaine d’années. Tout comme Gustavo, avant lui, Eduardo me présente Regatas comme le meilleur club de Rosario. Je me demande si, en faisant le tour de tous les clubs, on n’aurait pas autant de « meilleur club de Rosario ».
(Photo : Luis Vignoli)
L’équipement dont dispose Eduardo est très différent de celui qu’utilise Gustavo, mais il réserve aussi son lot de surprises. Deux bassins qui sont la propriété du prestigieux Regatas, lui sont alloués. Un bassin extérieur pour l’été et juste à côté, le bassin d’hiver, couvert, et très étonnant puisqu’il n’a que trois lignes d’eau de deux mètres de large. Comment entraîner sérieusement un groupe dans un bassin de six mètres de large ? Je n’ai jamais rencontré de club s’entraînant dans un bassin aussi étroit. Les deux bassins sont équipés de lignes « bouchon ». Quand le groupe de compétition nage en intérieur, le bassin, déjà si étroit, doit sans doute devenir une vraie machine à laver. Le bassin extérieur, quant à lui, propose d’autres spécificités intéressantes. Tout d’abord, certaines lignes font 2,5 mètres de largeur et d’autres « seulement » deux mètres. Mais j’observe surtout que la ligne 3, au milieu du bassin, est laissée vacante par les nageurs. La raison de ce désamour ne tient pas à la largeur des lignes, mais à la présence d’un marchepied au bord du mur sur toutes les lignes sauf la 3. Ce marchepied permet aux nageurs de prendre appui sur le fond en récupération. Or, comme les nageurs sont beaucoup moins nombreux à Regatas qu’à l’EFC, ils peuvent se permettre de laisser une ligne vide.
Mais si on est moins serrés, les problèmes structurels de la société argentine touchent tout le monde. Par exemple, quand la décision est prise d’améliorer les équipements, le reste ne suit pas toujours. Ainsi, autrefois, les vestiaires des nageurs se trouvaient à côté des bassins. Vétustes, ils devaient être refaits. On a donc détruit les anciens vestiaires, mais le budget a alors manqué pour en reconstruire de nouveaux. Du coup, les travaux se sont limités à la destruction des anciens vestiaires et les nageurs se changent à présent dans un bâtiment voisin. En Argentine, même les plus aisés ne sont pas à l’abri de problèmes logistiques. Mais le meilleur reste à venir : le stade de football du club de Central domine de son imposante stature la petite piscine extérieure. Et avec la cohue, les soirs de match, l’enceinte de la piscine est tout bonnement inaccessible. Eduardo est alors contraint de décaler l’entraînement. Au final, après avoir rencontré des nageurs de clubs d’origines sociales très différentes, j’ai constaté que tous les nageurs argentins sont à peu près logés à la même enseigne. Chaque club doit composer avec des installations inadaptées à la pratique de la natation sportive.
En Argentine, Éric Huynh