Deux ans après avoir décidé de quitter la Syrie et ses combats, Yusra Mardini poursuit ses rêves de championne en Europe. La nageuse de 19 ans, aujourd’hui installée en Allemagne, a participé cet été aux championnats du monde de Budapest. A cette occasio, elle a accepté de nous parler de sa nouvelle vie.
Vous avez été nommée Ambassadrice de bonne volonté au HCR, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés. Quelle a été votre réaction ?
Je suis ravie ! Je suis tellement fière de faire partie de cette famille. Ce rôle d’ambassadrice va me permettre de continuer à partager le message que les réfugiés sont des individus normaux qui traversent des expériences traumatisantes et dévastatrices, qui sont capables de choses extraordinaires si seulement on leur laisse la chance.
Actuellement, vous vivez toujours à Berlin en Allemagne. Est-ce que le mode de vie de nos voisins vous convient ?
Oui, je suis très reconnaissante de tout ce que l’Allemagne a fait pour moi et mon peuple. Contrairement à d’autres pays, les Allemands n’ont pas hésité à nous accueillir. Elle a fait en sorte que moi-même et d’autres réfugiés se sentions comme à la maison.
Décrivez-nous une de vos journées ordinaires.
Mes journées sont très remplies. Je nage jusqu’à quatre heures par jour. Je vais aussi à l’école et le week-end je participe à des compétitions. Et puis j’apprends l’allemand. C’est très intense !
Quelles sont vos nages préférées ?
Le papillon et la nage libre.
Finalement, toute votre vie est liée à l’eau. En août 2015, avec votre sœur, vous décidez de quitter la Syrie à cause de la guerre. Vous embarquez alors sur un radeau de fortune…
C’est ça. A un moment on est en train de vivre sa vie et d’un coup on doit tout lâcher et courir après elle. Il faut quitter sa maison, sa famille et ses amis. Tout ce qui constituait votre vie quotidienne disparaît. Et juste courir. La guerre a forcé de nombreuses personnes à fuir. J’en faisais partie. Je me suis retrouvée au milieu de la mer Egée sur un bateau bondé de réfugiés lorsque le moteur est tombé en panne. Le choix était simple : soit on paniquait et on s’abandonnait à la mer, soit on tentait quelque chose. Ceux parmi nous qui savaient nager ont sauté dans l’eau et ont poussé le bateau jusqu’à l’épuisement. C’est ce qui m’est arrivé et qui est arrivé à beaucoup d’autres gens. Ils sont plus de vingt-deux millions à avoir été contraints de quitter leur pays à cause de la guerre et des persécutions.
Combien de temps a duré la traversée ?
Vingt-cinq jours jusqu’en Allemagne.
Mais vous saviez nager avant de quitter votre pays ?
Oui, mon père est un entraîneur de natation. En Syrie, j’avais l’habitude de m’entraîner une fois par jour. Et ça, sept jours sur sept. Je faisais des compétitions et je m’entraînais beaucoup parce que mon rêve, c’était de participer aux Jeux Olympiques. Quand la guerre a commencé, j’ai continué à nager et à aller à l’école. J’essayais de vivre comme une enfant normale, mais les choses se sont aggravées et c’est devenu plus dur pour moi d’aller à la piscine à cause de la guerre. J’ai déménagé avec ma famille dans une partie plus sûre de Damas, mais j’ai quand même dû arrêter de m’entraîner pendant deux ans. Lorsque j’ai pu retourner à la piscine, j’ai travaillé extrêmement dur.
Vous avez intégré l’équipe des réfugiés aux Jeux de Rio en 2016. Comment cela s’est-il organisé ?
Tout était extraordinaire. Vivre l’expérience des Jeux Olympiques, c’est toujours ce que j’ai voulu. Je me sentais bien dans l’eau. Etre en compétition avec tous ces champions était aussi très excitant. Faire partie de l’équipe des réfugiés était très important pour moi. Il y a beaucoup d’amitiés dans cette équipe, on ne parle pas la même langue, on ne vient pas du même pays, mais le drapeau olympique nous unit. C’était un privilège extraordinaire de représenter plus de 65 millions de personnes dans le monde qui ont été contraintes de fuir leur maison, que ce soit pour traverser des frontières vers d’autres pays, ou en cherchant la sécurité ailleurs.
Avez-vous des nouvelles des autres membres de l’équipe ?
On essaie d’être en contact le plus possible, mais c’est compliqué car on habite tous dans différents pays. Je suis très proche de Rami (Anis, ndlr) qui est Syrien comme moi. Il est aussi nageur donc je le vois souvent lors des compétitions de natation.
Diriez-vous que la natation vous a permis de vous reconstruire ?
Sans la natation, je ne pense pas que j’aurais pu survivre. La chose la plus importante dans ma vie, c’est de nager. Je ne veux que personne abandonne ses rêves et fasse ce qu’ils ressentent dans leur cœur même si c’est impossible, même s’ils n’ont pas les bonnes conditions. On ne sait jamais ce qui peut arriver il faut continuer à essayer. Vous pourrez peut-être obtenir une opportunité comme la mienne, ou peut-être que vous créerez votre propre opportunité. Je veux représenter tous les réfugiés parce que je veux montrer à tout le monde qu’après la douleur arrivent des jours plus calmes. Je veux leur donner envie de continuer à faire des choses bien dans la vie.
Texte : Alban Loizeau
Photo : UNHCR