Depuis le mardi 17 mars, Magali Mérino est confinée dans sa maison à Champagne-sur-Seine aux côtés de son meilleur athlète, Axel Reymond. Une chance pour le duo qui a tout aménagé pour poursuivre l’entraînement et revenir plus fort que jamais.
Où étiez-vous au moment de l’annonce du confinement ?
On a nagé jusqu’au mardi soir au Centre National des Sports de la Défense (CNSD), à Fontainebleau. On était les derniers. En fait, on a continué à nager jusqu’à ce qu’ils annoncent officiellement le début du confinement. On avait une lettre car on était sur notre lieu de travail. Quand le CNSD a fermé, on est rentré chez nous et on a aménagé notre piscine et ma maison en centre d’entraînement.
Quand vous dites « on », c’est avec Axel Reymond ?
Oui, son appartement est dans mon jardin. On habite Champagne-sur-Seine, à côté de Fontainebleau. Il y a deux maisons sur le même terrain et la piscine est entre les deux.
Comment vous viviez ce confinement ?
Bien. Il faut dire qu’on est dans une situation exceptionnelle. Je suis confinée avec mon meilleur athlète, donc je n‘ai pas la sensation de ne pas entraîner car je crée des séances et je les vis. Je n’ai pas le même ressenti que les autres coaches. Après, par rapport au reste du groupe, je suis comme tout le monde. C’est-à-dire que si ça dure deux semaines, ça ira, mais si ça dure un mois, ce sera plus difficile. On partage tous la même interrogation. J’ai passé des heures au téléphone pour pouvoir faire des programmes d’entraînement suivis et qu’on utilise au mieux cette période. Je pense que si elle est utilisée à 100%, elle ne pourra être que bénéfique et on ira de l’avant. Et puis il faut surtout rester positif !
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
C’est primordial de rester positif quand on est entraîneur ?
Je ne veux pas rentrer dans la négativité parce que si on perd le moral, on coure à la catastrophe. Après, en règle générale, j’essaie de tout positiver parce que je trouve que le monde du haut niveau, c’est qu’une série d’échecs et de réussites. Si on ne positive pas et qu’on ne cherche pas des solutions, on tombe vite dans la dépression et c’est pas du tout mon style. Malgré tout, il ne faut pas se leurrer. On parle actuellement d’un mois de confinement, maximum ce sera six semaines. Quand on est athlète de haut niveau, souvent on a déjà vécu des périodes creuses qui durent plus d’un mois. Le moral n’y est pas et le corps n’y est plus non plus. Je pense qu’on a toujours des moments comme ça donc il faut trouver des solutions. On s’adapte, comme on le fait déjà d’habitude.
En plus d’Axel, vous vous occupez de cinq autres athlètes : Malek Louissi, Alexandre Verplaetse, Claire Six, Matthieu Magne et Sami Ferchichi. Comment faites-vous à distance pour les coacher ?
On a tous le même programme d’entraînement. On travaille tous sur les mêmes bases. En plus, j’ai créé un groupe de travail ou on s’envoie les résultats des entraînements, les temps et tout ça… Du coup, chacun partage ce qu’il a fait, en photo, en vidéo et cela crée un échange entre eux. On essaye de faire de l’entraînement chez soi quelque chose de positif. On reste dans cette dynamique. Et s’il y en a un qui a fait de meilleurs résultats que l’autre, ils vont se charrier, ou ce genre de chose.
Dès l’annonce du confinement, vous aviez déjà préparé un programme ?
C’est ça ! J’avais même anticipé un peu avant puisque je le sentais venir comme on était à l’armée. Dès le weekend, on a commencé à se doter de choses pour rester chez nous. Ils se sont tous fait livrer un rameur. Après sur place pour Axel, on a des skiergs, un vélo, un tapis de course, des kettlebells, des poids, des élastiques de toutes les forces, une piscine, un élastique de survitesse pour nager et puis toute la place pour mettre tout ça. Il n’est pas malheureux, et en plus il a la coache ! Il y en a qui pourrait dire que ce n’est pas un avantage…
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
A quoi ressemble votre programme d’entraînement ?
Il est fait sur une semaine, comme d’habitude. Le lundi, mardi, jeudi, vendredi c’est deux fois par jour. Le matin on a entre 2h30 et 3h d’entraînement. Entre l’échauffement le rameur, la fin de séance (marcher 10-15 minutes) et les étirements cela fait 3 heures. L’après-midi, Axel a 15 minutes d’échauffement, 1h de PPG, 15min de transition, 1h dans l’eau et 15 minutes d’étirement. Ça, c’est le lundi et le mardi. Le mercredi, il a 2h de rameur, 15 minutes d’étirement, et 1h dans l’eau. Le samedi aussi. Et le dimanche il a 1h de PPG.
Qu’est-ce qui permet de pallier l’absence de longueurs dans l’eau ?
C’est le rameur ! C’est pour ça que les séances durent 3 heures. Par exemple, Axel rame entre 140 et 150 km par semaine.
Vous parlez de préparation physique. Est-ce que c’est le moment de renforcer aussi le mental ?
Oui. Déjà on profite de la préparation physique. D’habitude on le fait, mais entre 1 heure et 2 heures par semaine. Du coup en ce moment on augmente. Après au niveau mental, le rameur c’est même plus difficile que dans l’eau pour eux. C’est ce qui se rapproche le plus de la natation même si ça n’en est pas. Il faut trouver des entraînements pour les mettre dans des états où ils se surpassent.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Cela n’a pas été trop difficile de se réinventer ?
Non car c’est tous les jours comme ça ! Il faut réfléchir, se réinventer. Après je fais comme à l’entraînement : j’ai prévu mon kilométrage et je fais mon articulation de séance en fonction de ce que j’ai envie de travailler. Je me dis « tiens la séance d’avant on a travaillé ça, on a été là, là je vais rentrer ça dans la séance d’après ». Je fais les séances d’endurance parce que ça se rapproche de ce que je fais d’habitude dans l’eau. Et en lien avec mon préparateur physique, on crée des séances de vitesse où on travaille sur les watts pour développer la puissance. Du coup on travaille sur une puissance et un aéro. On fait un bon travail d’équipe. Tout ça en corrélation aussi avec le physionomiste de la FFN. Disons qu’on n’est pas en vacances, au contraire, j’ai l’impression que c’est plus dur pour Axel qu’une semaine normale dans l’eau.
Comment voyez-vous l’avenir ?
J’ai un million de plans dans ma tête en fonction des échéances qu’on va nous annoncer ! Par exemple, on parle des championnats d’Europe fin aout. Cela va quand même être une très bonne indication pour savoir comment on articule l’été. Mais quand le confinement sera fini, Axel aura bossé comme un fou. Alors on va essayer de partir parce qu’on aura utilisé la maison au maximum. Je pense qu’on va faire un stage de 3 semaine à Font-Romeu en juillet car on n’a pas pu le faire en avril. Cela va nous changer d’air, surtout qu’à cette période il fait chaud donc c’est sympa. Après il devrait y avoir les 3 coupes du monde au Canada. On a nos billets d’avion, on devrait partir un mois si elles ne sont pas annulées. Puis il y a le championnat d’Europe fin aout, mais entre les deux on va peut-être aller en stage à Miami… Bref, j’ai pensé à plusieurs alternatives qu’on va adapter en fonction de la reprise des compétitions. Mais le but ce sera forcément de sortir un maximum.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Quelle a été votre réaction à l’annonce du report des JO en 2021 ?
Je me dis que si on a reporté les JO, c’est pour que ce soit équitable. On a une discipline où il y a 10 athlètes sur 25 qui se sont qualifiés en 2019. J’ai du mal à trouver ça équitable de les laisser être qualifiés pendant deux ans sachant qu’il y en a 15 qui vont être qualifiés 2 mois avant. Mon avis ce serait de dire que si ça coute 6 milliards de dollars de reporter les JO, il faut que ce soit de beaux Jeux. Ça me parait difficile qu’ils gardent des athlètes qualifiés deux ans. Après, c’est mon opinion. Est-ce que ce sera celui du CIO ? Je n’en sais rien. Je comprends aussi ceux qui disent qu’il ne faut pas enlever les qualifiés, maintenant qualifier des gens deux ans avant une compétition… Deux ans, c’est la moitié du temps olympique, ça me parait énorme. D’un autre côté, il ne faut pas se faire de fausse joie non plus parce qu’ils ne vont peut-être jamais refaire les qualifications. Après je pense qu’il faut que la compétition se joue sur les capacités des athlètes à être bons à un instant T. Je pense que c’est ce qu’il y aurait de plus équitable, mais je fais partie de ceux qui sont restés sur le carreau à pas grand-chose car Axel a loupé la qualification aux Jeux l’année dernière. Il ne l’a pas loupé d’ailleurs, ils étaient quatre à avoir un très bon niveau et il n’y avait que deux places, donc ça n’a pas été pour lui.
Dans ce contexte si particulier, qu’est-ce qui est le plus important en ce moment pour les nageurs ?
Il est primordial qu’ils gardent un certain cadre de vie. L’erreur à ne pas faire, c’est de se lever à 11h, de se coucher à 1h du matin, de ne plus avoir de règles, de ne plus avoir de plan d’entrainement… Et plus le niveau de l’athlète est élevé, plus ça pourrait leur être fatal, surtout pour des athlètes qui ont plus de 18 ans. Donc ça, c’est la base. Après il faut vraiment faire comme s’ils continuaient à s’entrainer sauf qu’ils ne sortent pas de chez eux. Cela fait partie du sport de haut niveau de s’adapter. Mais il faut garder le moral et ses objectifs en tête. Il y a deux solutions : soit on se laisse abattre en se disant que dans un futur proche il n’y a pas de compétition donc on s’en fiche et on fait n’importe quoi. Soit on profite de ce moment pour être les plus forts dans les deux ans qui arrivent. Je pense qu’on pourra sortir très faibles comme très forts de cette période. A nous d’être bons et d’en sortir renforcés. C’est comme quand on perd un championnat. Celui qui perd un jour va peut-être gagner celui d’après. Je reste persuadée que quand on perd, cela permet de gagner la fois d’après.
Recueilli par Chloé Joudrier