En annonçant la fin de sa carrière ce mercredi 29 janvier à 31 ans, Jérémy Stravius a mis un terme à son ambition olympique. Après Londres et Rio, le champion du monde et champion olympique ne connaîtra pas ses troisièmes JO à Tokyo, l’été prochain. Une décision soudaine qui interpelle, mais qui permet de se replonger dans son incroyable parcours. De son premier titre de champion de France en 2009 à Montpellier, à sa dernière médaille olympique à Rio en 2016 avec le relais 4x100 m nage libre, en passant par son titre de champion du monde à Shanghaï en 2011, Jérémy Stravius a véritablement marqué l’histoire de la natation tricolore.
Ce 26 juillet 2011, à Shanghaï, la natation française s’apprête à ouvrir un nouveau livre de son histoire. Quand Camille Lacourt et Jérémy Stravius se présentent sur le plot de départ de la finale du 100 m dos, jamais un nageur tricolore n’était devenu champion du monde. En 52 secondes et 76 centièmes, les deux hommes le deviennent au même instant. Ensemble. Ils unissent leur destin à tout jamais et côte à côte, ils écrivent les premières lettres d’or sur une page blanche qui n’a ensuite pas tardé à se noircir. Un véritable tournant dans leurs carrières que l’on ne peut de toute façon dissocier. « Cette étape nous lie à vie », reconnaît Camille Lacourt lors d’un entretien accordé au Natation Magazine. « Qui peut dire : « J'ai été champion du monde ex-aequo avec un mec que j’ai fréquenté pendant dix ans en compétition ? ». Ça ne fait pas de nous des amis, mais on a vécu quelque chose d’extraordinaire et si je le croise de nouveau dans 30 ans, j’irai lui serrer la main et lui taper dans le dos. Ce qu’on a vécu était extraordinaire et ça nous lie à jamais. »
Stravius et Lacourt s'enlacent à l'arrivée du 100 m dos des Mondiaux de Shanghaï. Ils sont tous les deux champions du monde. (DPPI/Franck Faugère)
Si Lacourt a mis un terme à sa carrière à l’issue d’un dernier titre mondial sur 50 m dos à Budapest en 2017, Jérémy Stravius a, lui, décidé de prendre sa retraite six mois avant les Jeux olympiques de Tokyo, qu’il avait pourtant coché comme le dernier objectif de sa magnifique carrière. Stravius et Lacourt ont fait rêver toute une génération et ont sans doute créer des vocations. Alors que les Bernard, Bousquet et Gilot ont forcément donné envie aux plus jeunes de devenir sprinter, Lacourt et Stravius ont motivé de nombreux nageurs à se mettre sur le dos pour reprendre ce flambeau doré, à l’image de Yohann Ndoye Brouard ou encore Mewen Tomac, dignes héritiers des deux champions du monde. Tomac, qui a d’ailleurs côtoyé Stravius à Amiens a pu voir de près de quelle manière il s’entraînait. « Je n’ose pas trop lui poser de questions, mais dès que l’occasion se présente, il n’hésite pas à nous donner quelques conseils », dira-t-il de son illustre aîné.
Mais la carrière de Jérémy Stravius ne se limite pas à sa rivalité avec Camille Lacourt et à ses qualités de dossiste. Non, le Picard restera dans les mémoires comme le nageur tricolore le plus polyvalent de ces dernières années. Capable de remporter un titre mondial sur 100 m dos, avant de conduire l’équipe de France sur le toit du monde du relais 4x100 m nage libre à Barcelone en 2013 au prix d’une dernière longueur mythique où il décide de ne plus respirer. Capable aussi de briller sur 100 m papillon et d’améliorer le record de France du 200 m 4 nages en 2013 aux championnats de France de Rennes où il semblait alors intouchable. En Bretagne, l’Amiénois est devenu le premier tricolore à décrocher cinq qualifications en individuel dans trois nages différentes pour des championnats du monde.
Jérémy Stravius lors des championnats de France de Rennes en 2013. (Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire)
Une polyvalence assez rare pour retenir l’attention et considérer Stravius comme le "Monsieur Plus" de la natation française et lui attribuer le surnom de « Lochte Français » en référence à l’Américain Ryan Lochte, maître de la polyvalence. Mais ses facilités dans toutes les nages lui auront peut-être joué des tours dans la planification de ses saisons. « Au début, on était sur du dos », se souvient Michel Chrétien son entraîneur historique à Amiens. « Il est champion du monde, la logique aurait été de continuer un an pour essayer d'être champion olympique. Mais ça a été le 100 m, les relais, les 50. Il a tellement de qualités, de capacités à nager beaucoup de choses... » Mais Stravius a toujours assumé ses choix, répétant qu’il avait besoin de nouveauté pour avancer avec envie et motivation dans une discipline parfois routinière. « C'est vrai que c'est un peu ma marque de fabrique. J'ai toujours eu du mal à dire et à me dire : « Je suis un nageur de 50 ou de 200 et je vais le rester. » Je n'aurais jamais pu faire la carrière de Camille (Lacourt), que du dos, je n'aurais pas trouvé les ressources nécessaires à l'entraînement pour rester performant sur la durée. J'ai besoin de changement, de me fixer de nouveaux objectifs. Et à part la brasse, qui reste une énigme, j'aime varier les plaisirs, je m'ennuie vite. »
Son aisance dans le bassin, ses coulées légendaires qui ont parfois flirté avec la ligne des quinze mètres et qui entraînaient à chaque fois la stupéfaction et l’admiration des spectateurs présents dans les gradins ont, en tous cas, fait de lui l’un des nageurs les plus talentueux de la génération dorée de la natation française. Une génération dont il a été le seul rescapé de Budapest à Gwangju. Après les retraites de Gilot, Bousquet, Manaudou, Agnel ou encore Grégory Mallet, Jérémy Stravius était la caution expérience de l’équipe de France. Nommé logiquement capitaine il n’a jamais hésité à soutenir les plus jeunes et à marteler que la relève était bien présente mais qu’elle avait besoin de temps pour véritablement émerger. « Je me sens plus comme un grand frère », explique-t-il à l’issue des Mondiaux de Windsor en petit bassin en 2016, ses premiers en tant que capitaine. « Je donne de la confiance aux jeunes et j’essaie de les déstresser pour qu’ils prennent du plaisir. »
Jérémy Stravius était capitaine de l'équipe de France pour la première fois aux Mondiaux de Windsor en petit bassin en 2016. Il est ici en compagnie de Jean Dencausse, Thomas Avetand et Clément Mignon. (Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire).
De 2017 à 2019, il a toujours répondu présent en se qualifiant pour la compétition internationale de l’été, malgré des critères de sélection de plus en plus éprouvant à satisfaire. Alors qu’il a été champion olympique, du monde et d’Europe avec le relais 4x100 m nage libre, il s’est mis au service du collectif pour tenter de reconstruire un quatuor performant et capable de se hisser de nouveau sur les podiums internationaux. À Amiens, il a notamment accompagné la progression du jeune Maxime Grousset, aujourd’hui solidement installé dans le collectif tricolore et qui devrait faire partie de ce relais à Tokyo. En se rendant à Nice, il a tenté de relancer sa carrière, mais aussi celle de son ami Jordan Pothain en difficulté après sa finale olympique sur 400 m nage libre à Rio. Et ce 29 janvier 2020, à Nice, la natation française a refermé un magnifique livre de son histoire. Jérémy Stravius en aura été l’un des auteurs les plus prolifiques.
Jonathan Cohen