L’épidémie du coronavirus a chamboulé le quotidien très structuré des nageurs de haut niveau. La très grande majorité d’entre eux n’a pas pu s’entraîner dans l’eau pendant cette période. Heureusement, bien entourés, les prodiges des bassins ont su s’adapter et se réinventer pour garder la forme physique et mentale. Du Brésil au Canada, en passant par l’Australie et la France, ils nous racontent sans filtres comment ils ont vécu cette période.
Certains n’auront pas ressenti le bonheur de la glisse pendant deux mois. Soixante jours loin des bassins, à se demander si les sensations reviendront au prochain plongeon. Depuis ses débuts dans la province chinoise de Hubei, l’épidémie du Covid-19 aura touché plus de 180 pays. Face à ce raz de marée inédit et anxiogène, de nombreux pays ont décidé de se confiner pour endiguer l’épidémie. La ville de Wuhan, en Chine, la première. Puis l’Italie le 10 mars et l’Espagne quatre jours plus tard. S’en sont suivis le Liban, la République-Tchèque, la France, l’Israël, le Venezuela et la Belgique. Au total, près de trois milliards d’êtres humains ont été contraints de se confiner. La planète comme paralysée, figée. Enfin presque. Certains gouvernements en ont décidé autrement. A l’image du Danemark, de la Corée du Sud ou de Hong Kong. La Suède aussi s’est abstenue, prônant le confinement volontaire. L’Australie n’a pas confiné ses habitants, mais a posé des restrictions. Au milieu de cette situation inédite, des athlètes de haut niveau impactés de plein fouet, avec quelques disparités de traitements selon les nations. En France, au Canada ou au Brésil, aucun accès à l’eau n’a été autorisé. Le confinement était strict, rigoureux. En Australie, les nageurs ont pu profiter de sessions en eau libre. Les Italiens les plus performants ont, quant à eux, eu un accès privilégié à leur piscine. Des aménagements ont aussi été prévus aux États-Unis, au Japon ou encore en Chine. En Angleterre, pas de laissez-passer, mais des piscines en kit livrées aux athlètes les plus prometteurs. Chacun a composé comme il le pouvait. « Malheureusement, cela peut creuser un fossé entre les nageurs. Certains ont pu continuer à s’entraîner plus longtemps alors la reprise sera plus difficile pour les autres », pointe la nageuse Française Anaïs Arlandis depuis Montréal, où elle s’est expatriée pour ses études.
(D. R.)
Une crainte légitime à seulement quelques mois d’un enjeu planétaire : les Jeux olympiques de Tokyo. Mi-mars 2020, on ne parlait pas encore de report et on n’évoquait même pas la piste de l’annulation. Heureusement, quelques hauts placés ont tapé du poing sur la table. A l’image de Gilles Sezionale, président de la Fédération Française de Natation, qui a demandé dès la fin mars le report des Jeux. Car les mesures de confinement « dans de nombreux pays ne permettent pas de garantir l’équité sportive dans la préparation de cette compétition. En France notamment, les athlètes sont défavorisés par un confinement généralisé qui ne leur permet plus du tout de s’entraîner. La FFN se doit d’être à leurs côtés soit par l’option du report, soit par l’obtention de conditions d’entraînement décentes qui doivent être alors obtenues par le CNOSF (comité olympique français) ». Outre-Atlantique, Tim Hinchey n’en pense pas moins. Le directeur général d’USA Swimming, dénonce aussi une situation inégalitaire : « Le coronavirus a fait des ravages sur des populations entières, y compris celles de nos concurrents respectés. Tout le monde a connu des perturbations inimaginables, quelques mois seulement avant les Jeux olympiques, ce qui remet en question l'équité des règles pour tous ». Et puis le mardi 24 avril, la nouvelle tombe. Les JO de Tokyo sont officiellement reportés en 2021. Soulagement général. Anaïs Arlandis se félicite que tous « les nageurs puissent repartir sur un même pied d’égalité ». Marie Wattel, la Française spécialiste du 100 m papillon, se sent plus légère, malgré le travail abattu ces derniers mois : « C’est frustrant car on était préparé pour nager vite cet été, mais personnellement je me suis sentie plus sereine. Si j’avais dû préparer les JO pendant le confinement, cela aurait été source de beaucoup de stress et d’émotions négatives ». Même son de cloche à 15 000 km de l’Hexagone pour le brasseur Australien Zac Stubblety-Cook : « C’est intéressant car les personnes qualifiées devront travailler encore plus pour montrer qu’elles méritent à 100 % d’être là. Ce report était le bon choix pour protéger notre santé et notre bien-être, même si cela reste une période difficile et frustrante. On doit faire avec ! ».
Marie Wattel (KMSP/Stéphane Kempinaire)
Et pour cause. Après avoir accepté la situation, il faut s’y adapter. Ce qui veut dire garder un cadre de vie et des objectifs. « L’erreur à ne pas faire, c’est de se lever à 11h, de se coucher à 1h du matin, de ne plus avoir de règles, de ne plus avoir de plan d’entraînement », pointe Magali Mérino, entraîneur d’Axel Reymond, champion du monde du 25 km en eau libre. « Les nageurs doivent faire comme s’ils continuaient à s’entraîner sauf qu’ils ne sortent pas de chez eux. Soit on se laisse abattre soit on profite de ce moment pour être les plus forts dans les deux ans qui arrivent. Certains vont sortir très faibles, d’autres très forts de cette période ». Privés pour la plupart de leur élément, les nageurs ont dû se réinventer. Il a fallu se recréer une routine pour garder la forme physique mais aussi mentale. Tous mettent en place des temps quotidiens de renforcement musculaire. Certains ont acheté du matériel pour travailler le cardio. Un rameur pour Axel Reymond et un vélo elliptique pour Marie Wattel. D’autres n’ont pas pu anticiper et font avec les moyens du bord. Et même pour ceux qui ont eu la chance de nager, la situation n’a rien de bien normale. Comme pour l’Australienne Minna Atherton qui a pu entretenir les sensations dans sa piscine en travaillant avec un élastique de résistance. Une parenthèse qui a également permis à certains de s’adonner à de nouvelles disciplines. De quoi diversifier les entraînements et pallier au manque de la glisse. La Brésilienne Etiene Medeiros, spécialiste du 50 m dos, a repris le yoga : « C’est une chose vers laquelle j’avais vraiment envie de revenir mais je n’avais jamais le temps ». Confinée à Annecy chez ses parents, Marie Wattel s’est mise, quant à elle, à la course à pied. « Je suis sûre que cela peut m’apporter quelque chose dans ma nage. Et au vu des tests, cela a maintenu mon endurance donc je pense que je vais continuer ».
Etiene Medeiros (D. R.)
Travailler son physique c’est bien, mais en adéquation avec son mental, c’est mieux. Et le confinement est une période propice pour ce type de travail. Certains se sont mis à l’hypnose, d’autres ont doublé le nombre de séances de méditation. A l’image d’Etiene Medeiros qui en a ressenti le besoin : « J’ai travaillé mon esprit pour me sentir la plus sereine possible. Je vis dans le présent, je prends ce qui vient jour après jour. J’essaie d’être reconnaissante car nous ne pas savons à quoi ressemblera demain ». De son côté, Marie Wattel a augmenté le nombre de séances avec son coach mental. « J’en ai profité pour progresser sur quelques petits trucs en imagerie mentale. Et puis, j’ai surtout pu relâcher mentalement. J’en avais besoin pour savoir comment gérer la période ». D’autres encore ont simplement pris le temps. Du temps pour soi, pour se faire plaisir tout simplement. Dans sa collocation à Montréal, Anaïs Arlandis a trouvé du réconfort dans la musique : « J’en écoute beaucoup. Cela me vide la tête et me permet de rester positive ». Garder la motivation et l’envie de se faire mal est un combat quotidien. Heureusement, pour faire face à cette période de doute, les athlètes ont pu compter sur leur staff. Entraîneur, coach sportif, préparateur mental, staff médical… Tout a été mis en place pour épauler les pépites de la natation mondiale dans cette période difficile. « Ça a été vraiment très important de les avoir à nos côtés », confie Zac Stubblety-Cook. Pour rester proche des athlètes et garder le contact, les coaches ont mis en place des séances sportives en visio-conférence. A Brisbane, Minna Atherton avait des séances quotidiennes avec toute son équipe sur l’application ZOOM. Coincée à Montréal, Anaïs Arlandis aussi avait rendez-vous chaque jour pour suer devant la caméra. « Cela nous a permis de garder un contact social ».
Minna Atherton (SwimSwam)
En étant accompagnés, conseillés, entourés, les athlètes ont pu se projeter plus facilement vers l’avenir. Comme des lions en cage, beaucoup attendent maintenant la reprise des compétitions. Et surtout celles qualificatives pour les Jeux olympiques. Malgré le manque de perspectives, il faut aller de l’avant. « Il est assez difficile de s’organiser et de prévoir à long terme », admet Anaïs Arlandis. « Je ne sais pas quand les piscines vont ré-ouvrir, quand je pourrais rentrer en France retrouver ma famille. L’avenir est difficile à prévoir puisqu’en raison du virus, la reprise des cours en septembre à Montréal se fera en ligne, mais si les piscines ne ré-ouvrent pas début septembre, je resterais probablement en France ». Mais pas question de se laisser miner par la situation. Cet avenir incertain, ils l’acceptent et font avec. « Cela ne doit pas jouer sur notre bien-être mental et notre motivation de manière générale », pointe Zac Stubblety-Cook. Finalement, la clef pour encaisser ce quotidien chamboulé : voir le bon côté des choses. Ils sont nombreux à avoir profité de cette parenthèse pour penser à autre chose qu’à leurs longueurs. S’éloigner des bassins pour y revenir encore plus fort. Marie Wattel déborde de motivation. Pourtant, elle s’est surprise pendant le confinement à oublier la natation pendant deux ou trois jours d’affilée parfois. « Cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé... Cela m’a fait du bien ! Le Covid nous a permis de voir qu’il n’y avait pas que la natation dans la vie, qu’il y a des choses plus graves et qu’il est important de relativiser ». Même ressenti pour Etiene Medeiros. La nageuse Brésilienne a pris le temps de réfléchir : « Aujourd’hui, la planète crie pour une autre situation. C’est une période difficile mais surtout de profonde réflexion. La planète appelle au secours et nous demande de ralentir ». Qu’ils se trouvent sous le soleil d’Itatiba au Brésil, au cœur du printemps Canadien à Montréal ou entourés des majestueuses Alpes à Annecy, ces prodiges des bassins nagent dans la même direction. Avec la santé comme priorité.
Chloé Joudrier