En charge de la natation synchronisée à la Fédération Française de Natation, Sylvie Neuville dresse le bilan des Jeux de Rio, de la saison olympique et des quatre années qui viennent de s’écouler. Un état des lieux lucide et objectif qui n’élude aucun sujet, à commencer par le renouvellement générationnel qui est sur le point de s’opérer en équipe de France. Entretien.
Sylvie, quel bilan sportif tires-tu des Jeux de Rio ?
C’est très satisfaisant pour la natation synchronisée française. Depuis 2004 aux Jeux Olympiques d’Athènes, nous n’avions pas réussi à placer des nageuses dans les huit premières places. Cela démontre une réelle progression. Laura Augé et Margaux Chrétien, entraînées par Julie Fabre, ont réalisé une belle performance, les chorégraphies étaient de qualité et les athlètes ont démontré leurs capacités à tenir la pression en réalisant des duos forts techniquement, mais aussi impressionnants d’énergie. Laura et Margaux possèdent, en outre, un vrai charisme, le public ne s’y est pas trompé et bien sûr les juges non plus en leur octroyant un score de plus de 87 points en finale du duo libre.
Aussi historique soit-elle, Laura et Margaux pouvaient-elles espérer mieux qu’une huitième place ?
Elles ont atteint l’objectif fixé en devançant les Américaines, les Grecques et les Mexicaines. Honnêtement, ce n’était pas une mince affaire ! Les concurrentes étaient de redoutables adversaires et leurs ont donné du fil à retordre. Je ne pense pas qu’elles auraient pu battre le duo Canadien qui termine à la septième place. Pour cela, il aurait fallu beaucoup plus de confrontations mondiales en amont des Jeux Olympiques. La natation synchronisée est un sport dans lequel il faut construire la performance patiemment avec beaucoup d’opportunités de rencontres et de surprises tout autour du monde. Les écoles sont différentes et il faut se frotter aux tendances des jurys pour imposer son style et donner une impression favorable. Nous n’avons pas eu cette opportunité.
L'impact médiatique du duo olympique te semble-t-elle satisfaisante ?
Traditionnellement, les médias sont friands en année olympique d’un sport original, esthétique comme la natation synchronisée. Les nageuses ont ainsi répondu à beaucoup de sollicitations : reportages TV, radio, presse écrite durant la saison. Bien sûr, lors de la quinzaine olympique, seules les médailles comptent et une place de finaliste peut passer inaperçue. C’est tout à fait compréhensible et c’est la loi du système… Toutefois, la prestation retransmise de nos deux représentantes a été fort appréciée par les téléspectateurs, les images étaient belles, la performance évidente et surtout Laura et Margaux ont su faire passer une vraie sincérité, de la fraîcheur. Elles réalisent leur meilleur duo, atteignent l’objectif fixé et elles ont laissé éclater leur joie à l’annonce de leurs notes de manière naturelle. C’était authentique et parfaitement dans l’esprit olympique. J’en ai encore les frissons en me remémorant ce moment. Une autre expérience d’exception, notre discipline a été choisie par Paris 2024 pour son film de présentation. Le tournage a eu lieu dans un lieu mythique, la piscine Molitor, avec des moyens techniques impressionnants, caméra à 360 ° sous marine, drone. Le rendu est vraiment puissant et le film a été projeté entre autres au Club France de Rio.
Que faudrait-il améliorer pour soutenir l'éclosion de la discipline auprès du grand public ?
Le grand public aime la natation synchronisée. J’en veux pour preuve le nombre de personnes qui se pressent aux galas de l’équipe de France, les gradins pleins lors de l’Open Make Up For Ever, le nombre record d’internautes qui suivent en streaming cette compétition. Notre discipline est télévisuelle, c’est une évidence, maintenant encore faut-il avoir l’occasion d’en apercevoir à la télévision. Bon nombre de sports comme le nôtre ne sont mis en lumière qu’une fois tous les quatre ans, au moment des JO et le reste du temps, c’est « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». En outre, nous sommes un sport essentiellement féminin – reconnu mixte par la FINA seulement depuis 2015, ce qui représente d’ailleurs une grande avancée - et nous pouvons légitimement nous interroger sur la place du sport féminin dans le paysage médiatique français.
L'Open MUFE constitue-t-il un socle incontournable de développement ?
Indéniablement, oui. L’Open Make Up For Ever est un des meilleurs meetings du monde avec une participation record des pays étrangers. La FINA ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en proposant à la fédération d’intégrer le circuit des World Series. C’est vraiment la preuve de la qualité de cette compétition. Notre équipe nationale a ainsi l’opportunité de se produire, de briller devant son public, c’est quelque chose d’extrêmement stimulant pour des athlètes. Parallèlement, la natation synchronisée française se retrouve autour de cet événement, c’est aussi l’occasion de travailler, d’analyser la performance et de proposer des formations pour nos entraîneurs. Le partenariat avec Make Up For Ever et la natation synchronisée est fort. Les images respectives s’imbriquent parfaitement et sont valorisantes pour les deux parties.
Qu'en est-il du bilan des quatre années qui viennent de s'écouler ?
J’en suis satisfaite, nous avançons dans la bonne direction. Nos résultats aux Jeux Olympiques, bien sûr, mais pas seulement. Notre duo junior avec les sœurs jumelles Tremble a pris la huitième place aux championnats du monde junior à Kazan en juillet dernier. La Coupe de la Comen en Israël a représenté un vrai renouveau, nos jeunes nageuses ont raflé la deuxième place en duo devant l’Italie et derrière l’Espagne et la troisième place en ballet d’équipe, nous n’avions plus eu de médaille en équipe depuis dix ans. C’est le fruit du travail engagé par Florence Lefranc et son staff d’entraîneurs, notre jeune équipe était profilée, homogène, courageuse et talentueuse. Bien sûr, il ne faudra pas se reposer sur nos lauriers, continuer la dynamique engagée avec la Russie, depuis plusieurs années, nous réalisons un stage pour nos jeunes nageuses et grâce à un protocole bilatéral ministériel nous pouvons emmener des entraîneurs français pour vivre cette expérience dans la meilleure école du monde. Dans notre discipline, le leitmotiv est de toujours se remettre en question, sentir les tendances, innover, être proche de l’élite mondiale, échanger les pratiques techniques et de chorégraphie. Ceci exige des déplacements à l’international, de la confrontation dans différents continents. Je ne voudrai pas parler que du haut niveau, quelque-chose me tient vraiment à cœur. Nous avons travaillé main dans la main avec la commission fédérale et notamment sa présidente Marie-Claude Besançon pour offrir à nos clubs un programme sportif riche et diversifié et qui correspond aux différentes publics et niveaux de pratiques. Le chemin est long et nous pourrons encore développer des pratiques telles que le « baby synchro » – qui remporte beaucoup de succès dans nos clubs - ou une pratique récréative telle que « la synchro forme » pour un public désireux de loisirs et de bonne condition physique dans l’espace aquatique. Je me sens aussi très concernée par l’ouverture maximum de nos clubs à la mixité. C’est un beau combat de changer les mentalités, modifier les regards est porteur de sens. Enfin, j’ai senti une vraie adhésion de nos clubs en synchro, notamment en compétition nationale, ils étaient rassemblés autour de nos équipes nationales pour les soutenir. Notre sport est un vrai collectif, sans forces communes et rassemblées, point de salut. Maintenant, j’ai conscience qu’il nous reste beaucoup à faire, notamment pour les structures possédant peu de créneaux hebdomadaires et qui souffrent d’un problème d’encadrement, nous devons leur apporter une aide pédagogique et leur permettre de faire découvrir et apprécier notre discipline à sa juste valeur.
Quel sera le duo pour les quatre prochaines années ?
Bonne question à laquelle je ne peux pas répondre pour le moment… Le processus de sélection a déjà commencé, mais il est loin d’être finalisé. Le 22 octobre dernier, à l’INSEP, s’est tenue une évaluation sur le contenu du programme technique de duo. Six nageuses sont toujours en lice, des seniors avec Marie Annequin, Estel-Anaïs Hubaud, Innesse Guermoud, Solène Lusseau, mais aussi des juniors avec les sœurs Tremble, Laura et Charlotte. Julie Fabre teste et évalue plusieurs paires pour l’épreuve technique comme pour l’épreuve libre. Nous cherchons avant tout un duo très homogène pour coller au maximum avec les exigences internationales, fort techniquement et charismatique. En tout cas pour nous la concurrence est un levier essentiel, personne ne sera installé dans un fauteuil jusqu'aux prochains Jeux. Et dès l’année prochaine d’autres duos encore un peu « tendres » cette saison pourraient aussi jouer les trouble-fêtes. Je pense notamment à la paire Maureen Jennkins et Eve Planeix ou même pourquoi pas les « jeunes pousses » Margaux Chabirand, Camille Bravard et Laura Gonzales. A suivre, cela risque d’être surprenant et passionnant.
Avec quelles nageuses sera constituée l'équipe ?
Nous gardons dans notre collectif de bons piliers seniors tels que Iphinoé Davvetas, Marie Annequin, Solène Lusseau, Innesse Guermoud, Estel-Anaïs Hubaud, mais nous allons aussi récupérer des nageuses juniors et prometteuses qui sont d’ailleurs au Pôle France de l’INSEP. Nous ne repartons pas de zéro, loin de là, nous construisons, nous optimisons... Julie Fabre, aidée par Laure Obry et Delphine Marechal, compte bien présenter une équipe très homogène, légère, rapide et audacieuse dans les portés. Notre graal, c’est la qualification olympique pour Tokyo et le mode de sélection est draconien – seulement huit pays avec une représentation continentale obligatoire, bref pour aller aux JO en équipe lorsqu’on est pays européen il faut être dans les cinq meilleurs nations mondiales.
Quels seront les axes de développement des chorégraphies pour les prochaines années ? Assistera-t-on à des évolutions notables ou s'agira-t-il uniquement d'ajustements ?
En natation synchronisée, il faut se renouveler, il n’y a pas d’autre alternative. Toutefois, le processus de création est long, c’est pourquoi nous proposons un roulement d’une année sur l’autre pour les changements chorégraphiques. D’un point de vue collectif, cette saison, les nouveaux opus seront le ballet d’équipe et le ballet combiné. Pour mutualiser les moyens, les deux équipes de France Junior et Senior nageront les mêmes chorégraphies. L’objectif est de surprendre, de se positionner là où on ne nous attend pas. Julie Fabre est un coach ouvert, très bonne chorégraphe, mais elle sait aussi s’entourer des meilleurs pour optimiser le résultat. Elle travaille beaucoup avec notre musicien compositeur arrangeur, Jean-Michel Collet, car elle a pleinement conscience de l’importance du support musical. Julie sait aussi qu’elle peut compter sur les qualités de Laure Obry – créative et à la fois très méthodique – et de chorégraphe extérieur comme Stéphane Miermont. Virginie Dedieu, triple championne du monde, est également une merveilleuse ambassadrice, mais elle sait offrir à nos athlètes son savoir-faire et son expérience, ce qui représente un vrai atout pour l’équipe de France.
Et qu'en sera-t-il des galas de synchro ?
Nous continuons, bien sûr… L’équipe de France sera à Rosny-sous-Bois le vendredi 4 novembre pour l’inauguration de la nouvelle piscine Camille MUFFAT. Les galas sont une très bonne opportunité de faire découvrir notre discipline, de nous rapprocher des clubs et pour nos athlètes, ne l’oublions pas, c’est un moment rare d’expression et de plaisir. Tout l’art est de trouver le bon équilibre entre les périodes d’entraînement, de compétition, de récupération et de sollicitation. Ceci dit le gala est aussi un moment propice pour tester des chorégraphies.
Que faudrait-il également mettre en place pour « professionnaliser » la discipline ?
Sujet épineux s’il en est… Nous avons besoin de pérenniser la carrière des nos athlètes pour accéder aux podiums européens et mondiaux. La natation synchronisée est une discipline sportive d’expérience et de maturité. Nos nageuses sont exceptionnelles avec un double projet très fort. Les résultats au baccalauréat 2016 sont probants : sur cinq nageuses du pôle France de l’Insep nous recensons une mention « Très bien », deux mentions « Bien » et deux mentions « Assez bien ». Les cursus suivis par nos athlètes sont audacieux et courageux : kinésithérapie, pharmacie… Toutefois, il ne faut pas se leurrer : la natation synchronisée est un sport d’équipe qui réclame beaucoup de temps en travail collectif. Il faut donc étaler les études et nos athlètes n’ont pas toujours la patience d’attendre. Regardons un peu chez nos concurrentes : les Russes, les Chinoises, les Japonaises, les Ukrainiennes, les Espagnoles sont professionnelles, même l’Italie possède une « squadra » rémunérée, la totalité de l’équipe fait partie de la police ou de l’armée italienne. C’est peut-être un modèle qui doit nous inspirer, mais n’oublions pas d’innover avec toujours plus d’audace et de conviction.