Instigateur de ce projet complétement dingue, Théo Curin, 21 ans, a réalisé son rêve : traverser le lac Titicaca – le plus haut de la planète – à la nage et en autonomie complète en tractant un radeau de près de 300 kg avec l’aide de ses deux compagnons d’aventure, Malia Metella, vice-championne olympique du 50 m nage libre aux Jeux d’Athènes de 2004, et Matthieu Witvoet, éco aventurier auteur d’un tour du monde à vélo et d’une traversée du détroit de Gibraltar à la nage. Une première mondiale XXL (dans la longueur, soit environ 108 km) qui l’aura obligé à aller jusqu’au bout de lui-même pour vaincre sa peur et dominer une météo ô combien défavorable. Rencontre avec un aventurier, un vrai.
Comment te sens-tu physiquement et mentalement après une petite semaine de récupération ?
De moins en moins fatigué, même si je sens que j’ai mis mon corps à rude épreuve. Je pense qu’il va me falloir encore quelques jours pour me sentir à nouveau en pleine possession de mes moyens. Pour l’instant, comme vous le dites, je récupère.
Qu’as-tu ressenti en atteignant la ville de Puno (Pérou), étape finale de votre traversée du lac Titicaca ?
Ça a été un mélange de beaucoup de sentiments. De la joie, du soulagement, de la fierté aussi et un peu d’hébétude face à qu’on avait accompli. Il faut du temps pour prendre la mesure de pareille aventure. Ça ne se fera pas en quelques jours. Surtout, je me suis rendu compte en arrivant à Puno que j’étais très entamé sur le plan psychologique. Vous savez, j’ai été chercher très loin au fond de moi pour relever ce défi.
(@Andy Parant)
En lisant les compte-rendu quotidiens publiés sur le site internet du défi Titicaca on apprend d’ailleurs que tu n’étais pas loin de rendre les armes au huitième jour de la traversée. Que s’est-il passé ?
A ce moment-là, ça allait encore sur le plan physique, mais mentalement, je me suis effondré. J’ai même été jusqu’à demander à Malia (Metella) et Matthieu (Witvoet) s’ils étaient d’accord pour rapprocher l’arrivée. Je n’en pouvais plus. Heureusement, mes compagnons ont été extraordinaires. Nous avons beaucoup parlé. Matthieu m’a confié qu’il avait, lui aussi, traversé des épisodes de doute lors de son tour du monde à vélo. Il m’a conseillé de joindre mes proches et franchement, ça m’a fait un bien fou.
En dépit de ton expérience du haut niveau, c’était la première fois que tu te retrouvais à ce point démuni sur le plan mental ?
Jusqu’à cette aventure sud-américaine, je n’avais jamais abandonné, aussi bien dans la vie que dans le sport. Mais là, je n’étais vraiment pas loin. Donc oui, c’est la première fois que je me suis retrouvé aussi mal. D’ordinaire, je trouve des ressources en moi, mais là, entre les orages, les tempêtes, le vent, j’ai un peu perdu le cap. Paradoxalement, je dirais malgré tout que c’était une bonne chose…
Ah bon et pourquoi ?
Disons que comme n’importe quel être humain, j’ai fini par atteindre mes limites. Mais c’est le propre des aventures. On prend sur soi pendant la préparation, on s’endurcit, on fait face à l’imprévu jusqu’à ce que ça fasse trop et qu’on ne puisse plus encaisser. Je suis malgré tout fier d’avoir surmonté ce passage à vide. Ça m’a fait grandir. Je n’étais plus le même en rentrant en France (mardi 23 novembre).
(@Andy Parant)
Pensais-tu que ce serait aussi difficile ?
J’étais préparé à l’altitude (3 800 mètres), à l’eau froide, à nager tous les jours en tractant un radeau de 300 kg et à la gestion de notre quotidien en autonomie. J’ai bien senti tout au long de notre préparation que ce serait compliqué de mener cette aventure à son terme, mais ce que je n’imaginais pas, c’est à quel point les conditions météorologiques allaient exacerber tous les paramètres et rendre ce défi aussi difficile. Lutter pendant plusieurs jours contre le vent, des orages, des tempêtes à répétition, c’est usant nerveusement. Tu gardes le sourire, tu restes positif, mais tu te demandes constamment de quelle manière ça va tourner. C’est un combat quotidien dans la tête.
En parlant du quotidien, comment cela s’est-il passé sur le radeau ?
Eh bien, au risque de vous surprendre, j’ai été un peu désarçonné par les longues heures d’attente. Dans ce genre de défi, on ne nage pas tout le temps. D’abord parce qu’on ne peut pas, mais ensuite parce qu’il y avait parfois trop de vents ou de trop grosses vagues. Du coup, moi qui suis habitué à toujours faire quelque chose, je me suis retrouvé à tourner un peu en rond, à attendre une accalmie pour me remettre à l’eau. Franchement, il y a des moments durant lesquels je me suis ennuyé. Certains parviennent à faire le vide, mais moi, j’ai besoin que ça bouge tout le temps.
(@Andy Parant)
As-tu eu peur pour ta vie, notamment au cinquième jour quand les éléments se sont déchaînés au-dessus de vos têtes ?
Oui, bien sûr ! Déjà, dormir au milieu d’un lac à 3 800 m d’altitude sous une tente installée sur un radeau de 8 m² qui dérive au gré des vagues, c’est une expérience, mais quand, en plus, le vent se lève et qu’un orage gronde au-dessus de vous et que des éclairs se découpent dans le ciel, c’est carrément flippant ! Et puis ça secoue, on sent qu’on est à la merci des éléments. Donc oui, j’ai vraiment cru qu’on allait y passer. A ce moment-là, il y a un milliard de pensées qui te traversent la tête. T’en viens à te demander ce que tu fais-là et pourquoi tu as eu cette idée complétement dingue de traverser à la nage le plus haut lac du monde. C’est quand même con de mettre sa vie en jeu pour un défi. C’est un moment dur à vivre.
La présence de Matthieu Witvoet, éco aventurier aguerri auteur d’un tour du monde à vélo et d’une traversée du détroit de Gibraltar à la nage, a-t-elle constitué un atout face à ces conditions météos défavorables ?
Evidemment ! Chacun dans cette aventure a apporté quelque chose d’important. C’est vraiment la somme de nos trois caractères qui nous a permis d’aller jusqu’au bout. Malia était un peu la « maman » du groupe. Elle m’a énormément rassuré. Matthieu nous a, quant à lui, fait partager ses connaissances sur la survie et l’environnement.
(@Andy Parant)
Depuis ton retour en France (mardi 23 novembre), as-tu pu mesurer l’impact de votre défi auprès du grand public ?
Non, pas vraiment, mais les gens m’en parlent spontanément. Les médias ont bien relayé notre aventure. Je m’aperçois qu’elle a été suivie. Sur le moment, je ne m’en rendais pas forcément compte, mais ça devient un peu plus concret. Ça me rend fier, surtout dans la période anxiogène que nous traversons actuellement. C’est bien que les gens puissent trouver dans ce genre de défi matière à rêver et à espérer.
As-tu envie de repartir sur une aventure ou s’agissait-il d’un « one shot » ?
Pour le moment, j’ai besoin de digérer, de savourer, de prendre du recul par rapport à ce que nous venons de vivre, mais je ne m’interdis rien. On verra ce que nous réserve l’avenir.
Recueilli par Adrien Cadot