Théo Curin, 21 ans, a surpris son monde en annonçant l’année dernière qu’il ne s’alignerait pas aux Jeux paralympiques de Tokyo (24 août-5 septembre) pour s’octroyer une bouffée d’oxygène et de liberté à l’autre bout du monde. La semaine prochaine, le jeune athlète lorrain, double médaillé d’argent sur 100 et 200 m nage libre aux championnats du monde handisport de Mexico en 2017, s’élancera dans les eaux glaciales du lac Titicaca, coincé entre le Pérou et la Bolivie à 3 800 mètres d’altitude, pour une traversée de 122 km en totale autonomie. Un défi complètement dingue qu'il a choisi de relever avec la vice-championne olympique 2004 du 50 m nage libre, Malia Metella, et l’éco-aventurier Matthieu Witvoet, auteur d’un tour du monde à vélo en 2017 et d’une traversée du Détroit de Gibraltar à la nage en 2018.
Comment un projet aussi fou a-t-il bien pu germer dans votre esprit ?
En fait, ça fait quasiment trois ans que cette idée me trotte dans la tête. Au début, je me disais qu'après les Jeux paralympiques de Tokyo, ce serait sûrement le bon moment pour me lancer un défi sportif et vivre une aventure qui me sortirait du schéma classique du haut niveau. Et puis les Jeux ont été reportés d’un an. Je me suis retrouvé chez moi pendant le premier confinement et j’ai commencé à me poser des questions.
Quel genre ?
Ça faisait deux ans que je me retrouvais confronté à des inégalités dans ma discipline. Je nageais face à des concurrents qui avaient leurs deux mains et qui étaient donc favorisés par rapport à moi (Théo a été amputé des quatre membres suite à une méningite foudroyante contractée à l'âge de six ans, ndlr). J’ai fini par me dire que serait peut-être le bon moment pour faire une petite pause dans ma carrière et me lancer un défi sportif de grande envergure. Avec Anne (Bayard), mon agent, nous avons profité du confinement pour écrire une histoire, celle d’un défi dans les eaux du lac Titicaca. C’est comme ça que tout a commencé.
N’a-t-il pas été trop difficile de renoncer aux Jeux paralympiques, compétition ô combien prestigieuse qui permet aux athlètes handisports de bénéficier d’un éclairage médiatique exceptionnel ?
Je suis un compétiteur. Je ne m’entraîne pas pour finir à la quatrième place. Donc non, ça n’a pas été difficile. Je me suis dit que ça n’en valait tout simplement pas la peine et qu'il était préférable d’attendre que les problèmes de classification soient résolus pour revenir à la compétition dans un meilleur état d’esprit.
(Photo : D. R.)
La natation est un sport individuel. Il est rare de voir des nageurs s’élancer dans des traversées collectives. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous entourer de Malia Metella et Matthieu Witvoet ?
Quand on part d'une feuille blanche, on se pose des questions toutes bêtes : pourquoi ? quand ? avec qui ? J’avais à cœur de relever un défi sportif qui n'avait encore jamais été réalisé, mais il était hors de question de partir seul sur cette expédition. Je voulais vivre un truc en groupe, partager des émotions avec d’autres aventuriers. C'est pourquoi, j'ai demandé à Malia et Matthieu de m'accompagner dans cette traversée. Et puis, même si c’est nous qui allons nager dans les eaux du lac Titicaca, nous sommes entourés par une équipe d’une dizaine de personnes. Anne (Bayard) et sa collaboratrice Sophie (Vellard) se sont occupées de toute l’organisation du projet, des médias ainsi que de trouver des partenaires. Il y a aussi deux médecins, un préparateur physique (Bilal Bourazza), deux entraîneurs (dont Stéphane Lecat, directeur de l’eau libre à la FFN et ancien nageur longue distance de renommée mondiale, ndlr) et une diététicienne. Comme vous pouvez le constater, je ne suis pas seul (sourire)… Il y a énormément de monde impliqué dans ce projet. C'est ça qui est juste incroyable !
En quoi ce Défi Titicaca est-il différent des performances aquatiques que vous réalisez depuis le début de votre carrière en bassin ?
Jusqu'à présent, les challenges que je relevais étaient purement individuels. Lorsque je nage en compétition, j’évolue dans ma ligne d'eau. Je suis seul face à moi-même, seul dans ma tête. Même si pendant la préparation j’échange avec mon coach et mes camarades d'entraînement, mon ambition demeure personnelle et le résultat ne repose que sur mes épaules. Là, c'est différent ! C’est la première fois que je m'associe à d'autres athlètes pour atteindre un objectif sportif. Et puis dans un bassin de natation, on évolue dans un environnement confortable où tout est sous contrôle. La température de l'eau est agréable, les nageurs évoluent dans leur ligne d'eau et tout est mis en œuvre pour les accompagner dans la performance. Sur le lac Titicaca, nous serons livrés à nous-mêmes dans une eau froide (autour de 10° C, ndlr) à 3 800 mètres d'altitude. Il y aura donc des contraintes d'oxygène. Et puis il faudra s'adapter au milieu naturel. Les conditions seront chaque jour différentes. Il faudra constamment être vigilant et attentif à ce qui se passe autour de nous.
Vous nagerez tous les trois en totale autonomie. Qu’est-ce que cela va impliquer exactement ?
Il faudra qu’on se débrouille par nos propres moyens pendant la totalité de la traversée. Nous pensons mettre entre huit et dix jours pour traverser le lac Titicaca dans sa longueur, soit environ 122 kilomètres. Le tout en tractant un radeau de près de 500 kg. Il a été conçu par des ingénieurs d’EDF qui sont en train de se creuser la tête pour l’alléger au maximum tout en nous offrant suffisamment de place pour dormir, stocker de la nourriture et manger.
Sacré programme en perspective qui nécessitera de la force mentale, mais surtout une forme physique optimale. Comment s’est déroulée votre préparation ?
Nous avons commencé doucement. Malia reprenait la natation après onze ans d'arrêt, alors forcément, on n'a pas pu débuter comme des fous. Début janvier, nous avons réalisé un stage en altitude à Font-Romeu avec des entraînements en chambre hypoxique. Un stage de survie a également été programmé. Tout cela va nous permettre d’aborder la traversée dans des conditions optimales, même s’il y aura inévitablement des imprévus lorsque nous nous élancerons dans les eaux du lac Titicaca.
(Photo : D. R.)
Sera-t-il possible de suivre votre défi en direct ?
Nous avons lancé des comptes Instagram et Facebook ainsi qu’un site internet www.defititicaca.com sur lesquels il sera possible de visionner des images tous les jours. On portera également des balises qui permettront aux curieux de suivre notre progression mètre par mètre. Des newsletters seront en outre diffusées quotidiennement pour recueillir nos impressions et notre ressenti, savoir comment ça se passe dans le radeau et dans nos têtes.
Le défi Titicaca comporte également un volet environnemental. Quel message voulez-vous faire passer avec cette traversée ?
Il y en a plusieurs en réalité ! Le premier porte sur la différence. Moi, je suis en situation de handicap, Malia est une ancienne nageuse qui se remet à l'eau après onze ans d’interruption et Matthieu est un éco-aventurier très engagé pour la préservation de la planète. Bien que nous soyons très différents, notre passion pour le sport et notre vision du monde nous rapprochent. Nous allons créer une boule de force qui va nous permettre de traverser le lac Titicaca. Reste que, comme vous le soulignez, il y a également un message environnemental dans cette aventure. Je tenais vraiment à associer cette dimension à notre défi. N’ayant que peu de compétences dans ce domaine, j'ai demandé à Matthieu de rejoindre l’équipe pour nous faire profiter de son expérience. Matthieu est un éco-aventurier aguerri. Il a fait le tour du monde à vélo (2017) et traversé le Détroit de Gibraltar à la nage (2018). Avec l’aide de notre staff, d’experts et nos partenaires qui nous accompagnent depuis le début, nous allons tout mettre en œuvre pour réduire au maximum les nuisances environnementales tout au long de la traversée.
Recueilli par L. T. (avec A. C.)
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