L’histoire du hand français a été marquée par des surnoms un peu spéciaux : « Barjots », « Costauds » et « Experts ». Mais avec un point commun, avoir fait de l’équipe de France de handball la sélection la plus titrée du pays. Alors pour évoquer toutes ces générations, parole à l’un d’entre eux et l’un des plus grands : Thierry Omeyer, son éternel gardien, champion olympique, champion du monde et d’Europe, retiré des parquets à l’été 2019, à 42 ans, et désormais manager général du PSG handball. Flashback sur ses plus grands moments, les JO 2008, ses doutes, son rapport à la natation et tant d’autres sujets.
Cinquante-neuf titres toutes compétitions confondues, vous êtes le sportif à avoir gagné le plus de trophées tous sports collectifs confondus en équipe de France. Envisagez-vous de monter votre musée ?
(Rires)… Ce n’est pas prévu ! Après, cela fait partie de ma carrière et j’en suis très fier. J’ai trouvé systématiquement de nouveaux objectifs, aller chercher de nouveaux titres, et cela m’a certainement aidé à progresser tout au long de ces années. A la fin de ma carrière, je n’ai pas eu envie d’exposer, peut-être un jour. Pour l'instant, les médailles sont dans un carton, rangées dans des armoires.
A la Nicollin ?
Ah, cela peut être une idée, un jour, de faire un espace autour de mes médailles.
(Photo : D. R.)
Est-ce que le succès vous est monté à la tête ?
Il faudrait le demander à mon entourage. J’ai toujours été un compétiteur acharné et je le reste aujourd’hui, que ce soit au padel ou au golf. J’ai toujours envie de repousser mes limites, d’être le meilleur possible. C’est quelque chose qui est en moi et qui ne changera jamais. Non, je ne pense pas avoir changé dans ma carrière, sinon juste de manière positive pour me remettre en question.
Alors, je reformule ma question différemment : comment fait-on pour se remobiliser ? Car il y a une forme d’accomplissement après un titre ou une médaille. On se fixe de nouveaux objectifs ? De quelle manière cela fonctionne-t-il ?
J’ai eu la chance de commencer en équipe de France et d’être champion du monde rapidement. A cette époque, je me disais : « Je suis champion du monde, mais je ne suis pas le meilleur gardien du monde ». L’objectif était clair : que j'arrive à enchaîner les performances, à gagner des titres sur la durée, parce que c'était cela dont j'avais envie ! Le but n’était pas seulement de gagner une fois comme ça, c'était de rester au top niveau mondial le plus longtemps possible. Cela s’est concrétisé étape par étape, en apprenant aussi de ses échecs. Quand tu gagnes, c’est si facile de retrouver la motivation. Moi, en tout cas, j’ai adoré ces sensations de joie et de bonheur à la fin d'une compétition réussie.
Le fait que vous n'ayez pas « pété les plombs », n’est-ce pas lié au fait qu’il y a moins d'argent dans le hand que dans des sports comme le football, par exemple ?
C’est toujours difficile de comparer à un autre sport… Moi, ce qui m’a habité, c’est de marquer l’histoire de ma discipline, gagner tous ces titres. Sur le coup, tu es champion olympique, c’est le graal ! 2008, c’était le titre qui nous manquait. Le jour où nous avons été champion olympique, le moment où tu arrives à te retourner sur tout le chemin, le but ultime, le plus beau dans le handball, les Jeux, c’est à part. Et puis après tu retournes en club et tu te dis : « Ce n’est pas grave si tu es moins bon ». Et en fait, si, tu as toujours en toi cette envie de prouver, de justifier tous les titres remportés. Tu ne peux pas être au sommet que pendant un an. En fait, ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir performé pendant seize ans, entre mon premier titre international en 2001 et 2017, et d’avoir démontré de la régularité.
(Photo : Abaca/Nicolas Gouhier)
2008, c’est l’année du titre de champion olympique d’un grand nageur français… Qui à votre avis ?
Alain Bernard !
Vous vous souvenez de sa victoire ou pas ? C'était avant ou après votre finale face à l’Islande (28-23) ?
C’était avant ! La finale de hand se jouait le dernier jour, et on n’avait d’ailleurs pas pu aller à la cérémonie de clôture. On avait décroché la dernière médaille d’or française. En 2008, la France avait glané pas mal de médailles, mais peu en or (sept). Et le titre d’Alain sur 100 m nage libre, je m’en souviens très bien. Il était ensuite venu nous voir lors de la finale face à l’Islande. On avait un peu échangé. Alain, je le connais, je le croise de temps en temps. J’ai un respect énorme pour lui, pour le premier champion olympique français sur 100 m nage libre. On avait vu sa finale dans nos chambres à la télé, pour ne pas perdre d’influx sur notre tournoi. Après, pendant les Jeux olympiques, on s’encourageait entre Français au village. On encourageait des athlètes de la délégation qui partaient disputer leurs compétitions, à coup de petits messages, avec tous en tête, le même objectif : ramener des médailles pour notre pays.
Et si vous aviez quelque chose à prendre à la natation et aux nageurs ?
Ma fille a fait de la natation entre 6 et 11 ans. Parfois, j’allais la voir à l’entraînement. Quel mental il faut avoir pour réussir, se faire tous ces kilomètres à l'entraînement, se dépasser physiquement pour parfois gagner un centième ou un dixième, enchaîner toutes ces longueurs. Ma fille adorait nager. Personnellement, j’ai besoin de quelque chose de ludique, mais il faut être très fort dans sa tête pour supporter ces moments où l’on a moins envie de nager où tu en as assez de toutes ces longueurs. Après, tu sais que c’est tout ce travail qui va faire la différence pour toucher le mur d’arrivée plus tôt.
D’ailleurs, quel est votre rapport à la natation ? Vous avez fréquenté les piscines pour de la rééducation, pour d’autres exercices ? Un souvenir précis, une rencontre ?
Après ma carrière, j’avais des douleurs à l’épaule. Dans le cadre de la rééducation, j’allais nager trois fois par semaine. Je faisais des longueurs. J’ai aimé parce que je me remusclais, je sentais que je progressais sur ma rotation d’épaule. C’est clair : l’eau et la natation sont très importantes dans le développement physique.
Alain Bernard (Photo : DPPI/Stéphane Kempinaire).
Vous avez sorti votre livre « Chaque but est une défaite » (éditions Marabout) en octobre 2020. S’il y avait une anecdote à en ressortir ce serait laquelle ?
Un épisode très fort, au début du livre, c’est le moment où on est champion olympique en 2008. Je prends le téléphone et j’appelle mon frère. On n’arrive pas à se parler, à échanger un seul mot car l’émotion était trop forte.
Votre frère qui est dans le hand, qui jouait à l’époque à Sélestat…
On s’est rappelé tout le chemin parcouru. On s’est appelé et pas un mot n’est sorti. Finalement, on s’est rappelé quelques minutes plus tard.
Il n’a jamais été convoqué en équipe de France. Un regret je présume de n’avoir pu partager tous ces titres avec lui…
Pas forcément ! Il n’a pas été loin des Bleus à une époque. Après, c’est sûr, ça aurait été magnifique. On a joué ensemble, puis l’un contre l’autre. L’histoire a été écrite comme ça. Je suis très fier de sa carrière. Il m’a suivi sur des compétitions et notamment lors des Jeux olympiques de Londres, quelque chose de très fort avec toute ma famille et mes amis qui étaient présents.
Retraité depuis deux ans, le terrain vous manque-t-il ? Avez-vous des papillons dans le ventre en regardant les matchs ?
J’ai eu une carrière assez longue, donc non, pas de paillons. J’ai arrêté en étant capable d’être encore performant. Je n’avais pas envie d’entendre après une blessure : « Tu n’as plus le niveau, il faut que tu arrêtes ». Et aujourd'hui, je compense en essayant de faire beaucoup de sport.
(Photo : D. R.)
Sinon, sur un plan plus sociétal, comment avez-vous vécu les différents confinements ?
J’ai la chance de faire partie d’une section pro au PSG. Le sport professionnel continue. Après, j’ai une pensée pour tout le sport amateur, les jeunes et pas que dans le handball, car c’est dur pour eux. Et forcément, on espère tous rapidement reprendre pour la vie sportive, les associations et les sports de salle.
On est dans la dernière ligne droite avant Tokyo. Aux Jeux, quelles sont les chances des deux équipes de France de hand ?
Nous avons déjà la chance d’avoir deux équipes qualifiées. Pour les filles, les ambitions sont en adéquations avec leur statut de vice-championnes d’Europe. Des ambitions très élevées malgré quelques joueuses gravement blessées récemment. Les deux formations ont le potentiel pour aller chercher une médaille. Les hommes ont vécu un championnat d’Europe difficile, mais il y a ensuite eu la quatrième place aux championnats du monde et le dernier Tournoi de qualification olympique leur a redonné de la confiance. Il faudra bien rentrer dans la compétition parce que le groupe des Bleus est très relevé. Là, je vois les deux équipes de France médaillées. Pourquoi ne pas faire comme aux Jeux de Rio 2016 avec nos deux médailles d’argent ?
Un dernier mot sur votre autre passion. Vous êtes ambassadeur UGOLF au club de Béthemont (Yvelines) et avez été piqué. Cela vous aurait plu d’être golfeur professionnel ?
Le golf, je l’ai découvert très tard. Il y a seulement trois ans, mais paradoxalement, j’en regardais avant de jouer, dans les années 2000 avec Tiger Woods notamment. C’est un sport que j’adore. Une discipline très exigeante. Golfeur pro ? Oui, si j’avais pu. Cela doit être génial. Tu joues au golf toute la journée, mais ça demande d’être très fort dans la tête. C’est si frustrant par moment, toujours être dans la recherche du bon coup. Et pour un golfeur débutant comme moi, cela n’arrive que trop rarement. Etre golfeur pro et être capable de faire ce que l’on veut avec la balle, ça doit être absolument génial.
Recueilli par Antoine Grynbaum