Aller au contenu principal

Un siècle avant notre ère, le poète latin Ovide nous raconte qu’un certain Léandre traverse toutes les nuits à la nage le détroit des Dardanelles pour rejoindre celle qu’il aime. Tragique, puisque le jeune grec se noiera un soir d’orage, cette histoire n’en est pas moins le point de départ d’une épopée à succès, celle des traversées !

Première du genre en France la Traversée de Paris à la nage connaît un immense succès populaire jusqu’à sa disparition en 1944.

L’amour des défis sportifs succédant à l’amour avec un grand A, nombreux sont en effet les nageurs qui vont au fil des siècles vouloir rééditer la performance de Léandre. Le poète anglais Lord Byron est de ceux-là, lui qui refera à l’identique le trajet entre les rives européenne et asiatique des Dardanelles en 1810. Mais très rapidement d’autres suivent et multiplient les exploits. Comme le capitaine Matthew Webb, premier homme à vaincre la Manche en 1875. Il faut cependant attendre le tout début du XXème siècle pour que ces expériences d’abord individuelles, puis collectives avec l’apparition des concours de natation en pleine eau, ne trouvent à la fois un cadre plus défini et un nom, les traversées.

Paris montre la voie en 1905

En France, c’est la capitale qui montre la voie. Le 10 septembre 1905, le journal « L’Auto » et la Société Nationale d’Encouragement à la Natation organisent en effet la « Traversée de Paris à la nage ». Une première sous cette appellation même si un « critérium » nautique avait déjà été organisé en 1898 et 1899. Le parcours, entre le Pont National et le viaduc d’Auteuil, long d’un peu moins de 12  kilomètres, réunit huit nageurs dont une femme, l’Australienne Annette Kellerman. « Devant cinquante milles personnes amassées sur les quais et les ponts de la Seine », la victoire revient au Français Georges Paulus tandis que quatre concurrents ne terminent pas l’épreuve.

1907 : Les participants à la 3ème traversée de Paris réservée aux « professionnels ».

Le succès populaire rencontré par cette initiative ainsi que la distinction entre sportifs professionnels et amateurs a pour conséquence de voir même deux traversées se dérouler l’année suivante dans la capitale ! La première est soutenue par « l’Auto », tandis que le journal « Les Sports » montre l’intérêt que la presse porte à ce type d’épreuves en devenant le support de la seconde. Malgré un arrêté de 1923 interdisant les bains dans la Seine, la Traversée de Paris va continuer à attirer les adeptes des longs efforts. Et pas les moindres puisque Suzanne Wurst, Ernestine Lebrun ou Monique Berlioux chez les femmes, Georges Vallerey père, Léon Tallon, Jean Rebeyrol, Albert Van de Plancke ou encore Jean Taris, chez les messieurs, sont autant d’« olympiens » de la première moitié du XXème siècle à s’imposer dans les eaux parisiennes.

Vice champion olympique du 400 mètres nage libre en 1932 à Los-Angeles, Jean Taris ne rechignait jamais à s’engager au départ d’une traversée.

Un plan d’eau, une traversée !

Dans le même temps, grandes métropoles (Rennes, Toulouse, Lyon, Marseille…) et villes de moindre importance (Angers, Macon, Vichy, Metz, Bayonne, Epernay, Tours, Verdun…) créent leur propre traversée. Fleuve, rivière, lac, mer, canaux… : il suffit d’une étendue d’eau pour que les premiers clubs de natation, soutenus par les quotidiens régionaux, se lancent dans l’aventure. Trois ans après Paris, l’Olympique de Cette et le « Petit Méridional » donnent ainsi naissance à la Traversée de Cette (qui deviendra Sète en 1928). Toujours présente au calendrier national plus d’un siècle après sa création, « la doyenne » connaît ses heures de gloire entre 1950 et 1970 quand tous les grands noms de la natation tricolore en décousent dans les canaux de la « Venise languedocienne ». Alfred Nakache, Jean Boiteux, Alex Jany ou encore Francis Luyce, alors recordman du monde du 800 mètres nage libre, s’y imposeront ainsi au moins une fois ! Au pied du Mont-Blanc, Annecy ne reste pas à l’écart du mouvement. Née en 1931, la traversée du lac a elle aussi perduré à travers le temps. Se déclinant désormais en quatre courses de 1 à 10 kilomètres, l’événement réunit chaque année plus de 500 participants !

Dans les années 1950, toutes les étendues d’eau (ou presque) voient naître une traversée.

Toutes les traversées n’ont malheureusement pas la longévité de celle de Sète ou d’Annecy. Et s’il n’est pas rare dans les années 1960-70 d’en voir jusqu’à cinq organisées le même week-end, les arrêtés sur la qualité des eaux de baignade, la réalisation du plan « mille piscines »  et le développement de la natation en bassin vont porter un coup fatal à nombre de ces courses. La Traversée de Paris disparait ainsi en 1944.

Jean-Pierre Chafes

Avec tous nos remerciements à Jacques Tuset et Patrick Pelayo pour l’iconographie.

 

Partager la page