Confinée à Nice, qu’elle a rejoint en septembre dernier pour s’entraîner sous la houlette de Fabrice Pellerin et tenter de se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo sur le 1 500 m nage libre, Aurélie Muller, 29 ans, a rapidement pris la mesure du drame sanitaire qui se joue en France comme à l’étranger. En dépit de l’éloignement qui la sépare de ses proches installés en Lorraine, la Sarregueminoise entend d’ores et déjà se projeter sur la fin de saison et la prochaine année olympique sans se départir du sang-froid qui l’habite depuis le début du confinement.
Où es-tu confinée ?
Je suis restée à Nice parce que j’ai davantage de place. Je me suis évidemment posée la question de savoir s’il fallait que je rentre chez moi, à Sarreguemines, en Lorraine, mais au final, j’ai préféré rester dans le sud pour ne pas prendre le risque de contaminer mes proches.
Ces-derniers sont en Lorraine, une région durement touchée par l’épidémie de COVID-19. Comment vis-tu cet éloignement ?
C’est préoccupant ! J’ai deux amies qui travaillent à l’hôpital de Sarreguemines dans le service dédié aux malades du coronavirus, une grand-mère très âgée qui vit dans un EHPAD et une maman qui travaille dans l’alimentation et qui fait des heures à n’en plus finir. Donc oui, l’éloignement est difficile à vivre. Je les appelle aussi souvent que possible pour me tenir informée et m’assurer que tout le monde se porte bien.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
N’est-il pas difficile, dans ces conditions, de garder la tête au sport ?
Si, forcément, ce n’est plus une priorité ! J’ai rapidement pris la mesure de la situation parce que j’avais des proches en première ligne, alors quand le président de la République a annoncé le confinement général (lundi 16 mars), j’ai tout de suite pris les mesures qui s’imposaient. Bien sûr, j’ai suivi avec attention les débats autour des Jeux olympiques de Tokyo, mais en gardant toujours à l’esprit que la santé prime sur tout le reste.
On dit que cette période extraordinaire va bousculer nos habitudes de vie. Est-ce que tu sens de ton côté un changement ou une évolution dans ta manière d’aborder les choses ?
Je crois profondément en l’humanité et en notre capacité de modifier notre manière de vivre. Peut-être pas dans l’immédiat car cela ne fait que quinze jours que nous sommes confinés, mais à terme, j’espère que les choses vont changer. A titre personnel, je trouve intéressant que les magasins d’alimentation n’aillent plus se fournir à l’autre bout du monde, mais qu’ils sollicitent davantage les producteurs locaux. J’en suis même venue à me demander si, d’ici quelques jours, quand je n’aurais plus rien à faire, je ne pourrais pas proposer mon aide à un agriculteur du coin pour me rendre utile et participer à l’effort national.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Trouves-tu malgré tout le temps de garder la forme ?
La première semaine de confinement, nous avons continué de suivre un planning d’entraînement physique avec le préparateur du club de Nice à raison d’une heure et demie par jour. Quand les Jeux ont finalement été reportés, Fabrice (Pellerin) a décrété qu’on pouvait prendre du repos et que ce n’était pas si mal de souffler un peu. J’essaie malgré tout de garder la forme en faisant des abdos, du gainage et quelques exercices généraux pour m’entretenir.
Comment as-tu accueilli l’annonce du report des Jeux ?
C’est la décision qu’il fallait prendre. Avec le recul, je comprends que le CIO ait pris le temps de réfléchir avant d’annoncer pareil report, mais on voit bien que tous les pays sont désormais frappés de plein fouet par l’épidémie. Dans ces conditions, le risque de relancer une vague de contamination pendant la quinzaine olympique était trop important. Il me semble également qu’en termes d’équité, les conditions n’étaient plus réunies pour permettre à tous les athlètes qualifiés de performer sur un pied d’égalité.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
En ce qui te concerne et sachant que tu as décidé en septembre 2019 de t’installer à Nice pour jouer ta qualification olympique sur le 1 500 m nage libre, ce report constitue-t-il un soulagement ?
Je me suis dit ça au début. Ça a été ma première réaction. Mais en même temps, je me sentais prête à décrocher ma qualification en avril, à Chartres. J’aurais aimé voir où j’en étais. Donc s’il y a du soulagement, il y a également une part de frustration. Mais bon, voilà, les événements sont ce qu’ils sont... Avec un an de préparation en plus, je me dis que je vais avoir le temps de travailler davantage et de jouer ma chance à fond.
Lors de notre dernière entrevue, à l’occasion des championnats de France d’Angers en petit bassin (décembre 2019), tu n’étais pas en confiance.
A Angers, ce n’était vraiment pas agréable (rire)… Mais après les vacances de noël, tout s’est mis en place et je me suis sentie enfin à l’aise dans ma nage. Je crois que même Fabrice a été bluffé par ma progression. C’était une autre Aurélie (sourire)… Lors de l’étape niçoise du Golden Tour (février 2020), j’ai d’ailleurs signé deux bons 1 500 m nage libre qui ont validé la première moitié de saison. Depuis, je n’ai cessé de rogner des secondes et il y a encore quinze jours, avant le confinement, j’étais à peu près sûre de moi. En tout cas, si je n’allais pas nager 16’10 à Chartres, je me sentais capable de claquer un chrono entre 16’15 et 16'20. Je ne dirais que c’était gagné d’avance, mais j’étais confiante.
Comment expliques-tu cette évolution ?
A un moment, mon corps s’est adapté au séances de Fabrice et puis, dans la tête, je ne voulais plus revivre une compétition comme celle que j’ai connu à Angers. Je me suis impliquée à fond et, comme souvent, ça a payé.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Géraldine Mahieu, capitaine de l’équipe de France de water-polo, estime que l’année prochaine aux JO (23 juillet-8 août 2021) on verra les athlètes qui ont réussi à s’adapter au confinement sans perdre le fil de leur carrière et de leur préparation et ceux qui se sont laissés submerger par leurs émotions. Partages-tu cette analyse ?
Complètement ! C’est une épreuve pour tous les sportifs. L’année prochaine, ceux qui atteindront leurs objectifs, ce sont les athlètes qui auront réussi à s’adapter et à se relancer de plus belle après cette période inédite qui dérègle tous les plannings de préparation.
En tant qu’ancienne nageuse d’eau libre, tu as développé des qualités naturelles d’adaptation. Considères-tu que cela puisse t’aider à surmonter cette épreuve ?
Les expériences de vie en eau libre et du fait que j’ai déjà pris une année plus cool après les Jeux de Rio me permettent de relativiser, de ne pas m’agiter inutilement et, plus important encore, de ne pas paniquer. Comme tout le monde, je regarde les infos et je trouve la situation angoissante. Je pense à mes proches, à mes amies qui travaillent à l’hôpital, à ma grand-mère, à ma mère et ça m’aide à prendre de la distance, à me rappeler que l’important, aujourd’hui, ce n’est pas le sport ou les Jeux olympiques, mais la santé d’hommes et de femmes qui luttent contre la maladie. Je me dis aussi qu’il nous reste un an pour travailler d’ici les Jeux. Pour le moment, on ne sait pas comment les choses vont évoluer. Le mieux, c’est de rester calme, de se rendre utile et d’attendre. Il est trop tôt pour se projeter sur l’après. Le moment venu, il sera temps de reconsidérer les choses et de planifier une préparation, mais pour le moment, il importe que chacun garde son calme et respecte les consignes de confinement pour venir à bout de cette épidémie.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
A ce sujet, ne crains-tu pas que repartir sur une année de préparation olympique soit plus difficile que prévu, tant physiquement que moralement ?
Non, je ne le pense pas car quand on est dans une dynamique olympique, tout va très vite. En revanche, je pense que le plus dur à gérer, ce sera cette fin de saison. A mon avis, le piège se situe à ce niveau-là.
Pourquoi ?
Parce qu’il n’y aura pas de compétitions pour se tester et parce que l’entraînement va reprendre dès cet été pour rattraper le temps perdu pendant le confinement. Jusqu’au mois d’août, il va falloir gérer très précisément l’enchaînement des séances et les quelques sorties qui vont se présenter.
Recueilli par Adrien Cadot