Il y a quelques années, le Docteur Alexandre Fuzeau avait collaboré avec Natation Magazine dans le cadre d’un article sur la natation en eau froide. A l’époque, il faut bien l’admettre, sa démarche, indiscutablement fascinante, était unique en son genre. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, au point que la Fédération Française de Natation organise la première édition d’un championnat de France de nage hivernale dans le Stade aquatique de Vichy Val d’Allier, haut lieu de la natation s’il en est, puisque c’est là que s’est tenu l’Open de France de 2013 à 2016. L’occasion était donc belle de solliciter « Doc Ice » pour mesurer le chemin parcouru et tenter de se projeter sur l’avenir d’un sport qui n’en finit plus de séduire des nageurs.
Que vous inspire ce premier rendez-vous national de nage hivernale ?
Cela fait des années que je me baigne en eau froide, mais de-là à imaginer qu’il y aurait, un jour, un championnat de France… C’est vraiment une belle satisfaction. Je suis heureux d’y avoir contribué.
En créant notamment la « French Ice Swimming Association ».
A la base, il s’agissait seulement de faire parler de natation en eau froide. La Fédération française a fini par s’y intéresser et nous voilà aujourd’hui en train d’évoquer les premiers championnats de France. L’organisation est remarquable, les nageurs sont motivés et enthousiastes et les médias ont suivi les premiers pas de la discipline sur la scène nationale. Nous avons passé le cap du divertissement pour en faire un sport à part entière avec des chronos et des records. Nous n’en sommes évidemment pas encore au niveau des championnats du monde d’Ice Swimming qui rassemble en général plus d’un millier de nageurs issus d’une quarantaine de pays, mais c’est un excellent début.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
On notera notamment que dix-neuf nageurs ont participé le premier jour des championnats de France (le vendredi 1er février) au 1 000 mètres.
Oui, le chiffre peut paraître limité, mais en réalité, c’est loin d’être le cas. Il faut savoir que le 1 000 mètres, c’est l’épreuve phare de la nage hivernale, une sorte d’Everest auquel tous les nageurs ne s’attaquent pas. Certains en ont même peur, c’est dire…
Pourquoi ?
Nager un kilomètre dans une eau à moins de cinq degrés, c’est vraiment un défi difficile à relever. Il faut être prêt, tant physiquement que mentalement.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
A ce sujet, on entend dire que le 1 000 mètres pourrait intégrer le programme des Jeux Olympiques d’hiver. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Oui, c’est à l’étude… Le mois prochain, Marion Joffle et moi représenteront la France aux championnats du monde de nage en eau glacée à Mourmansk (Russie). A cette occasion, nous nagerons dans une piscine taillée dans la glace au-delà du cercle polaire…
Rien que ça, c’est impressionnant…
(Il rit)… Oui, il faut vraiment le voir, c’est quelque chose de spectaculaire.
Et dans l’eau ?
C’est difficile (sourire)… Toujours est-il que des membres du Comité international olympique seront présent pour voir s’il est envisageable d’en faire une discipline olympique.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Cela paraît tout de même quelque peu « improbable » de voir des nageurs participer aux Jeux Olympiques d’hiver.
Au contraire, je pense que c’est l’épreuve la plus naturelle, peut-être même la première des Jeux Olympiques d’hiver. Quand nos ancêtres devaient franchir des rivières, ils se mettaient à l’eau.
Tout au long du championnat de France à Vichy, on a pu voir des nageurs venir vous saluer. Comment vivez-vous ce statut de « précurseur » de la nage en eau froide ?
Quand on est un précurseur, on est là pour donner une direction. Dans l’eau, je ne suis pas le plus rapide, mais je suis là pour encourager et soutenir les autres participants et donner ses lettres de noblesse à la discipline en diffusant des valeurs d’entraide et de partage. Mon rôle consiste également à rappeler les consignes élémentaires de sécurité. J’ai vraiment à cœur de montrer que si l’on s’y prend avec sérieux, ce sport est tout à fait sûr.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
A condition toutefois d’être bien entraîné et préparé.
Je suis président de l’International Swimming Association pour la France. Cela implique que je veille à garantir les règles de sécurité établies par l’ISA. Si on s’affranchit ce celles-ci, on se met en danger. Voilà pourquoi il y avait des médecins lors de cette première édition nationale ainsi que des plongeurs prêts à intervenir en cas de malaise. Il importe d’être particulièrement vigilant car si un athlète se sent mal, tout peut aller très vite.
Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
La difficulté, ce n’est pas de rentrer dans l’eau, mais bien d’y rester. Voilà pourquoi seulement 10% des nageurs d’eau froide font de la longue distance. Comme je le disais précédemment, tout le monde n’est pas capable de disputer un 1 000 mètres. Le défi est immense. Il faut en avoir conscience.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Comment vous entraînez-vous ?
Je me baigne en eau froide deux fois par semaine. J’ai un petit bassin extérieur chez moi. Je brise la glace et je me mets dedans pendant un quart d’heure. Je reste en position statique pour endurcir mon corps et l’habituer au froid.
Au-delà de la dimension physique, le mental semble au cœur de la discipline.
Tout se joue dans la tête. Il faut être concentré, focalisé sur le défi à relever et déterminé. Sans cela, c’est impossible. Un nageur qui rentre dans l’eau de manière timorée ne tiendra pas.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Par curiosité, êtes-vous frileux de nature ?
Non, pas vraiment. Disons que j’ai pris l’habitude de porter un tee-shirt tout au long de l’année.
Hiver comme été ?
Oui, mais lorsqu’il fait froid, j’enfile un manteau. Toujours est-il que je me sens bien en tee-shirt.
Ce n’est tout de même pas banal.
Il faut se rappeler que le corps humain est fait pour s’adapter aux circonstances. Au fil des siècles, nous l’avons oublié. Aujourd’hui, nous sommes tellement habitués à nager dans une piscine à 26°C ou à vivre dans un appartement à 24°C que l’on ne sait plus comment réagir quand il fait froid. Le corps humain est fait pour gérer des difficultés. En renforçant son corps, on consolide son mental. Au final, on est plus heureux car on connaît mieux ses forces et ses faiblesses.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Cela nécessite toutefois une sacrée force mentale.
Je vais vous dire, quand le soir, en hiver, je finis le travail et je vais me baigner dans un lac à la belle étoile alors qu’il gèle et que l’eau est à 3°C, j’ai plutôt envie de rester chez moi (sourire)… Il faut parfois que je me force, mais cela fait partie de l’entraînement.
Celui-ci sera-t-il suffisant pour vous illustrer aux championnats du monde de Mourmansk (14-18 mars) ?
Il s’agit d’abord de représenter la France et de faire en sorte que nous ne soyons pas à la traîne. J’espère aussi que cela donnera envie à d’autres nageurs français de m’imiter.
Recueilli à Vichy par Adrien Cadot