Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Ugo Crousillat, capitaine de l’équipe de France de water-polo, n’est pas du genre à parler pour ne rien dire. Quand le joueur du Cercle des Nageurs de Marseille prend la parole, c’est toujours avec l’impérieux besoin de dire ses vérités, sans langue de bois et sans détour. Il en va ainsi des meneurs d’hommes. A l’heure d’évoquer la défaite inaugurale des Bleus face à la Géorgie, Ugo ne se défile donc pas. Il assume la contre-performance des siens, frustré de voir ce groupe prometteur passé à côté d’une rencontre qui leur tendait les bras. Pas question non plus d’occulter son niveau de performance et encore moins le rendez-vous de Paris 2024 qui se profile à l’horizon. Dans cette perspective, et parce que les Tricolores manqueront les Jeux de Tokyo ainsi que le championnat du monde en 2021, le capitaine français espère que la discipline et ses dirigeants se remettront en cause pour fixer des objectifs ambitieux et permettre aux Bleus de s’illustrer devant leur public.
Une semaine après la défaite concédée face à la Géorgie (7-9 le mardi 14 janvier), la déception est-elle toujours forte ?
C’est une énorme déception ! Cela fait plusieurs mois que l’on se préparait pour ce match, mais voilà, collectivement, nous n’avons pas été à la hauteur. Après, comme je l’ai déjà dit sur les réseaux sociaux, ce qui n’est pas dans mes habitudes, j’ai trouvé l’arbitrage un peu « limite ».
Les images de ton pénalty ont beaucoup tourné sur Internet.
Il y a le pénalty, mais pas seulement... Je ne remets pas en cause la victoire des Géorgiens. Ils n’ont perdu que d’un but face aux Russes, c’est donc bien la preuve qu’il s’agit d’un adversaire à prendre au sérieux. De notre côté, nous n’avons pas fait le match qu’il fallait. C’était notre première rencontre, on a eu du mal à rentrer dans la compétition. Comme vous pouvez le voir, il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte. Ce n’est vraiment pas simple à analyser.
Malgré tout, l’équipe a fait preuve de caractère en résistant face aux Italiens et au Grecs ainsi qu’en battant les Néerlandais (9-8 le lundi 20 janvier).
Nous n’avons pas baissé les bras ! On aurait pu se morfondre, mais on a décidé de surmonter la déception initiale. Ça montre, en effet, que ce groupe a du caractère, ce dont j’étais convaincu en arrivant à Budapest. Nous sommes restés solidaires et ça a payé face aux Néerlandais. Ça ne doit pas empêcher une profonde remise en question de l’équipe, mais aussi de la fédération... Je n’ai pas honte de dire que parfois, les conditions ne sont pas optimales. Nous, les joueurs, sommes hyper motivés. On a envie de performer, de tout donner pour notre pays et notre sport.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
La qualification olympique de 2016 n’a-t-elle pas permis d’améliorer la situation ?
Après Rio, on s’est dit que les choses allaient changer, mais en fait, il ne s’est pas passé grand-chose. A ce titre, j’ai eu la chance de rencontrer le président de la fédération (Gilles Sezionale) en compagnie de Mehdi Marzouki il y a quelques mois pour évoquer notre situation. Nous avons pu discuter et échanger et cela a été constructif. Maintenant, que les choses soient claires, je ne nous cherche pas d’excuses et je fuis encore moins mes responsabilités. Je suis très déçu par mon tournoi. Je sais que je peux faire beaucoup mieux. Je n’ai pas évolué à mon meilleur niveau.
Comment l’expliques-tu ?
C’est toujours difficile de trouver des réponses à chaud. Physiquement, je me sens plutôt bien. Peut-être qu’il y a un petit coup de fatigue mentale. C’est difficile à dire, mais ce qu’il y a de certain, c’est que ça m’énerve énormément. En tant que sportif, c’est toujours compliqué de passer à côté, surtout quand on ne triche pas au quotidien. J’ai le sentiment d’avoir tout mis en œuvre pour évoluer à mon meilleur niveau à Budapest, mais voilà, ça n’a pas répondu comme je l’espérais. C’est aussi ça le sport de haut niveau. Malgré tout, je n’ai pas livré le pire tournoi de ma vie, c’est juste que mon niveau d’exigence est très élevé. Je me rappelle d’une phrase que me disais Petar Kovacevic (ancien entraîneur du CNM et de l’équipe de France, ndlr) quand j’étais plus jeune : « Quand ça ne va pas trop, le meilleur remède, c’est l’entraînement ».
Le plus frustrant, c’est que le collectif masculin semblait en pleine possession de ses moyens alors qu’il y a deux ans, au championnat d’Europe de Barcelone, les forfaits sur blessure avaient considérablement handicapé l’équipe.
On avait tout pour se qualifier au TQO de Rotterdam (Pays-Bas). Ce groupe est bourré de talents. Notre staff riche de compétences. Par ailleurs, le championnat de France a progressé. On voit que les choses bougent, que de plus en plus de clubs se donnent les moyens de viser des objectifs élevés, à l’instar notamment du Cercle des Nageurs de Marseille qui a pris la Wild card pour la Ligue des Champions. Donc oui, c’est frustrant, et oui la déception est énorme. Cette défaite face à la Géorgie va laisser des traces.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Certains revers sont toutefois fondateurs. N’y a-t-il pas moyen de reconstruire à partir de cette défaite face à la Géorgie pour appréhender l’avenir avec sérénité ?
C’est vrai que les « anciens » qui étaient à Rio ont connu leur part de désillusions, mais là, ce qu’il y a de terriblement frustrant, c’est que l’équipe était vraiment costaud. Je nous voyais réaliser un gros truc à Budapest. Au final, nous allons rater les Jeux de Tokyo et le championnat du monde en 2021. C’est dur à digérer. Malgré tout, on reste motivé car on connaît nos qualités.
Il faudra tout de même compenser ce retrait international dans la perspective de Paris 2024.
J’espère que le staff va trouver des compétitions pour que le groupe puisse continuer de travailler. Nous avons besoin d’un projet fort et ambitieux pour aborder l’échéance de 2024 dans les meilleures conditions, celles qui nous permettront d’être le plus performant possible. A titre personnel, j’espère participer aux Jeux olympiques de Paris. Ce serait un rêve, surtout pour les cent ans des JO de 1924, mais à condition d’être compétitif. Je n’irais pas à Paris pour faire de la figuration.
Rémi Saudadier estime que l’équipe de France ne peut décemment pas viser autre chose qu’une médaille en 2024. Partages-tu cette ambition ?
On se doit d’être ambitieux pour notre sport comme pour la France. Après, il faut être réaliste. Il y a trois équipes qui sont nettement au-dessus : la Serbie, la Croatie et la Hongrie. Derrière, il y a des formations très fortes comme la Grèce dont nous ne sommes pas si loin. Je pense qu’en travaillant fort pendant quatre ans, nous avons les moyens de réaliser de grandes choses en 2024. A condition, évidemment, de se donner les moyens d’y arriver. Il faut que les joueurs de l’équipe de France évoluent en confiance et, plus important encore, qu’ils se sentent soutenus.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Et quel regard portes-tu sur les jeunes joueurs du collectif national, à commencer par Thomas Vernoux, Romain Marion-Vernoux et Charles Canonne, qui incarnent l’avenir de l’équipe de France ?
Ce sont des garçons passionnés par leur sport. Ça ne fait absolument aucun doute. Quand je les vois évoluer avec nous, je constate également qu’ils ont énormément de respect pour ce que nous avons accompli en 2016, mais aussi pour ce que représente l’équipe de France. Ils sont ambitieux et motivés. Je pense qu’ils seraient prêts à tout donner pour gagner une médaille aux Jeux olympiques de Paris en 2024.
Que manque-t-il aujourd’hui à l’équipe de France pour aller plus haut ?
En dépit de notre contre-performance face aux Géorgiens, l’équipe de France est respectée. Certains joueurs sont connus dans l’Europe entière, ce qui n’était pas le cas avant. Donc oui, il y a eu des progrès depuis les Jeux de Rio, tout n’est évidemment pas à jeter, mais il importe, à présent, de se poser les bonnes questions pour performer à Paris sans avoir rien à regretter.
Recueilli à Budapest par Adrien Cadot