Avec les Jeux de Tokyo, désormais programmés en 2021, la natation va profiter d’une exposition médiatique accrue. Un rythme régulier qui s’était largement emballé entre les Jeux d’Athènes en 2004 et de Rio en 2016, cœur des années dorées des nageurs tricolores. Mais les médias ont différentes manières de prendre la vague ou de tenter de la reprendre à mesure que le grand rendez-vous olympique se rapproche. Nous sommes partis à la rencontre de journalistes en charge de l’actualité aquatique.
Gratter quelques lignes dans la presse généraliste pour causer lignes d’eau peut s’apparenter à un vrai sport. François Artigas, longtemps journaliste pigiste pour le Nouvel Observateur et Télé Obs, le supplément de l’hebdomadaire consacré à la petite lucarne, en sait quelque chose : « J’ai le souvenir d’avoir réussi à « arracher » une double-page dans le Nouvel Observateur pour un portrait de Roxana Maracineanu à la fin des années 90 après son titre mondial en dos, c’était dans la rubrique « Les uns, les autres » quelques pages après l’éditorial de Jean Daniel. A l’époque où la presse écrite avait des tirages bien plus conséquents qu’aujourd’hui, le rédacteur en chef de l’époque m’avait dit : « Vous avez de la chance, deux pages dans l’Obs pour une nageuse, ça ne se reproduira pas souvent ». Une phrase qui résonne encore dans sa mémoire. Pourtant, Artigas, reporter depuis le milieu des années 70, en avait déjà vu bien d’autres : « La natation a toujours eu l’étiquette de « petit » sport même si ça a forcément bougé dans les années 2000 à l’époque de Laure Manaudou et Alain Bernard, mais personnellement, je n’ai jamais eu à me forcer pour défendre ce sport que j’adore ».
A la manière d’un Georges Pérec, ses « fragments » de souvenirs autour des bassins s’enchaînent, en effet, et font valser les époques : « Je me souviens », dit-il, « de Kiki Caron à la piscine des Tourelles au début des années 70 pour un championnat de France, je n’étais encore qu’un étudiant passionné de cinéma et de sport, mais on pouvait être tout près d’elle au bord de la piscine. Je me souviens aussi d’une conférence d’entraîneurs américains dans cette même piscine de la Porte des Lilas, c’était impressionnant pour moi d’être là. » Egalement correspondant à Paris pour les quotidiens régionaux Ouest-France et La Presse de la Manche entre la fin des années 1980 et le début des années 2000, Artigas constatera au rythme de l’alternance des Mondiaux ou des Jeux, un regain immuable d’attention pour les nageurs et nageuses à mesure que les grands rendez-vous internationaux se rapprochaient : « Même si c’est un peu différent en presse régionale où les champions locaux sont toujours un peu plus suivis, il y a toujours davantage de place pour les nageurs et les nageuses au moment où le couperet de la qualification olympique se rapproche ».
Alain Bernard (DPPI/Franck Faugere)
Devenu un peu plus tard, le journaliste spécialiste du sport dans les pages de Télé Câble Sat Hebdo, magazine lu par près de 2 millions de lecteurs au mitan des années 2010, François Artigas va continuer de voguer sur « la vague people ouverte autour de la natation par le personnage de Laure Manaudou » après son titre olympique sur 400 m nage libre à Athènes en 2004 : « J’avais des lecteurs qui me demandaient de parler un peu plus de sport et rien que de sport, mais Télé Câble, c’était du glamour, du glamour et du très connu ! Et peu importait si on était ou non en année olympique. Et puis, finalement, comme Laure Manaudou et son entraîneur Philippe Lucas étaient devenus des personnalités courtisées par les télés, ça a malgré tout servi la cause de la natation. Au moins, on en parlait ». Voilà comment il se retrouve en 2011 à jouer les chaperons du premier papier de l’ex-Miss France Laury Thilleman questionnant Philippe Lucas au bord de la piscine du Racing Club de France : « Ils avaient même fait la couverture », se remémore François Artigas. « Comme ils rejoignaient Eurosport, l’une en charge des interviews au bord des bassins, l’autre comme consultant, ça nous avait évidemment facilité la tâche. »
Eurosport, détenteur des droits de la natation, se charge alors de mettre la presse télé dans ses petits papiers pour booster ses audiences : « La chaîne a eu l’intelligence de nous inviter sur plusieurs évènements et de nous faciliter le contact avec les nageurs. Lorsqu’on vient d’un média généraliste, ça aide et surtout ça peut convaincre des médias de s’intéresser à un sport quand leurs journalistes, contrairement à moi, n’ont pas forcément un tropisme prononcé pour les piscines. » Car, ne tournons pas autour du plot trop longtemps, le suivi de la natation dans les médias est souvent dans les rédactions une affaire d’affinités personnelles. Sollicité pour prendre le relais de Stéphane Joby, longtemps chroniqueur attitré des compétions de natation nationales et internationales et plume distinguée en 2013 pour un article sur Jérémy Stravius (*), Damien Burnier avoue sans détours qu’il ne s’est pas vraiment coulé dans l’eau de son premier grand bain : « Moi, j’ai besoin de voir des visages en action, des émotions qui transparaissent, pour rentrer dans un sport et c’est loin d’être le cas en natation. Donc, j’ai eu du mal à appréhender la discipline. Évidemment, c’était un moindre mal parce que la natation ne représente pas la plus grande partie de nos pages sportives. Et puis, surtout je suis arrivé au moment des Jeux de Rio à une période où il y avait un passage de générations, avec moins de résultats. Et, donc moins de personnages ou de têtes d’affiche grand public hormis le feuilleton autour du retour dans les bassins de Florent Manaudou. »
Florent Manaudou (DPPI/Stéphane Kempinaire)
Une chance tricolore de médaille olympique pour les Jeux de Tokyo que piste désormais Mickaël Caron, nouveau « rubricard » natation au sein de l’hebdomadaire dominical. Au Japon, dans un an désormais, puisque les Jeux de Tokyo ont été reportés à 2021 en raison de l’épidémie de COVID-19 qui sévit dans le monde entier, le champion olympique du 50 m des Jeux de Londres sera clairement sa cible : « Avec Damien Burnier, on ne sera que deux à Tokyo, donc on se concentre sur l’essentiel et pour moi ce sera donc Manaudou et les stars étrangères du moment, ceux qui gagneront en fait. » Habituel spécialiste du foot, du handball et du judo, le trentenaire avoue sans détour que pour « le moment, ce qui me rapproche le plus de ce milieu, c’est mon homonymie avec Stephan Caron ! Ce qui m’avait quand même, plus jeune, poussé à suivre un peu plus la natation. Mais, il faut bien commencer et la perspective des Jeux va ouvrir plus de portes, mes premiers contacts avec la Fédération Française de Natation ont été bons. Il y aura des possibilités de travailler, d’essayer de raconter des histoires d’athlètes comme on aime le faire dans nos colonnes. En fait, je vais apprendre au fil de la compétition ».
Apprendre, c’est ce qu’ont fait cet hiver une vingtaine de journalistes et techniciens guinéens conviés à une « formation sur le lexique et le rôle des hommes de médias pour une bonne couverture médiatique de la natation » dans la perspective d’abord d’un championnat d’Afrique, avant celle – désormais plus lointaine - des JO de Tokyo. Une initiative conjointe de la Fédération Guinéenne de Natation et de Sauvetage et de CIS Médias, un groupe de médias guinéen dédié au sport qui a permis un passage en revue des différentes épreuves de natation, mais aussi des types de nage, des caractéristiques des bassins. Bref le b.a.-ba des bassins. « Vu d’Europe, ça peut paraître surprenant », sourit Driss Bougrine, ex-reporter de la Radio Télévision Marocaine et fondateur dans les années 90 d’un des premiers sites web (Afrique-Sport.com) multisports sur le continent africain, « mais c’est à l’image d’une discipline qui manque encore cruellement d’infrastructures un peu partout en Afrique. Et puis, les exceptions Coventry ou Schoeman, ne sont pas représentatifs de la réalité de l’Afrique. Même le Tunisien Mellouli est vite parti se former en France et aux Etats-Unis. Donc, sans star, difficile de se passionner. Mais le jour où l’Afrique s’éveillera à la natation, il y aura de l’engouement parce que les Africains sont des passionnés de sport. Même si, comme un peu partout dans le monde, le foot écrase tout ».
Les filles du relais 4x200 m nage libre célèbrent leur médaille de bronze aux Jeux de Londres en 2012 (DPPI/Stéphane Kempinaire).
Une réalité qu’on connait trop bien du côté de Radio France Internationale (RFI) dont les plus de 40 millions d’auditeurs sont majoritairement des Africains francophones : « Lorsqu’on est aux Jeux, on aime toujours faire entendre la voix de nageurs francophones, sénégalais ou ivoiriens, mais ils disparaissent très vite après les séries. Alors, ça ne nous encourage pas à concentrer nos forces sur la piscine olympique », pointe Christophe Jousset, chef-adjoint de la rédaction sportive de RFI. Si bien que comme un peu partout dans les médias français, un seul nom de nageur devrait revenir en boucle sur les ondes : « Florent Manaudou sera notre cible numéro 1 », conclut Christophe Jousset. Un côté monomaniaque des rédactions qui n’étonne plus le journaliste de France Télévisions, Mathieu Méranville. L’espace de trois olympiades (Athènes 2004, Pékin 2008, Londres 2012), ce-dernier estime avoir « sans doute vécu sans doute une des plus belles époques pour ce sport en France » en accumulant les sujets pour les journaux nationaux de France 3 (Soir 3, le 12/13 et le 19/20) : « Dans un média généraliste, ce qui intéressait c’était évidemment les résultats et on était gâtés de ce côté-là. Ensuite, il y a eu aussi tout l’aspect polémique lié à l’utilisation des combinaisons qui a beaucoup nourri l’antenne. » La vague des succès tricolores retombée, le reporter télé a ensuite surfé sur une nouvelle tendance observée récemment dans les journaux télévisés : « Ces dernières années, la performance sportive pure intéresse moins et on nous demande de plus en plus d’angler nos sujets liés au sport sur un aspect société. C’est ce qui m’a amené, par exemple, à faire un reportage fin 2018 sur le phénomène de la nage-sirène. » La perspective de Tokyo et des Jeux l’a quand même ramené sur une ligne un peu plus classique en partant cet hiver sillonner les DOM-TOM pour tourner un documentaire pour France Ô sur la réussite des sportifs issus des Antilles, de la Réunion et de la Guyane. De quoi le rajeunir en repartant sur les traces de Malia Metella à l’USLM Pacoussines de Cayenne. « C’est marrant, Malia a raccroché il n’y a pas si longtemps, en 2009, mais on est déjà presque nostalgique de ce qu’elle a fait avec tant d’autres : Bernard, Balmy, Stravius, Lacourt, Agnel... En termes de résultats, ils ont fait beaucoup, mais aussi en termes d’exposition médiatique parce qu’ils avaient, chacun à leur manière, de vraies personnalités. Ce qui est généralement une constante chez les nageurs. »
Les relayeurs tricolores du 4x100 m nage libre laissent exploser leur joie à l'issue de leur victoire en finale des Mondiaux de Barcelone de 2013 (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Une brèche médiatique dans laquelle s’était engouffrée en 2009, Henri Seckel, alors jeune journaliste pigiste de 25 ans : « A l’époque, il y avait les Mondiaux de Rome et j’avais convaincu la rédaction du Monde de lui fournir un papier par jour. Ce qui était loin d’être gagné dans un quotidien aussi généraliste. Mais la polémique des combinaisons qui faisait rage, combinée au fait que la France sortait d’un précédent Mondial à Melbourne où elle s’était hissée à la troisième place du classement des nations, m’avaient propulsé en Italie. » Tant et si bien qu’intégré ensuite au sein de la rédaction sportive du quotidien du soir, Henri Seckel suivra la natation entre Jeux olympiques, Mondiaux et championnats d’Europe jusqu’au moment des JO de Rio 2016. Avec une constante qui marquera encore lors de la prochaine échéance olympique au Japon le traitement réservé à la natation dans les colonnes du Monde : « Quand ça gagne côté Français, c’est mieux pour avoir de la place... Et, si on est sur la performance, c’est en essayant d’expliquer le pourquoi du comment, en tentant de mettre un peu de profondeur au-delà du simple résultat. Et puis, bien sûr, au Monde, on est très portés sur les dérives potentielles du sport, les affaires de corruption, le dopage. La face sombre des Jeux. » Ce qui n’empêche pas le journaliste du Monde d’avoir encore le visage éclairé par le souvenir de la victoire française sur le relais 4x100 m nage libre des Jeux de Londres : « Ce jour-là, je n’ai jamais autant oublié ma neutralité de journaliste pour me transformer en supporter. Mais, un relais c’est une telle puissance dramatique, c’est presque le temps d’un clip qui vous transporte comme un bon titre de musique... » Et, pour cette brève histoire contemporaine de la place de la natation dans les médias, c’est aussi le moment de faire résonner le clap de fin.
Frédéric Sugnot
(*) Stravius : le nageur et la nounou, publié dans le JDD en 2013 a obtenu le Prix Ile-de-France de l’Union des Journalistes Sportifs Français.