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Tout au long de l'année, la rédaction de la Fédération française de natation vous proposera des archives de ses numéros de Natation Magazine. Pour lancer cette nouvelle rubrique, replongez dans le numéro 222 (mars-avril 2024) avec une étude sur les différences de tailles en natation. Sont-elles rédhibitoires ? Comment font les athlètes plus petits pour rivaliser ? Eléments de réponse.

 

En natation, il est facile de dire que les plus grands sont évidemment les plus forts. Mais quelques irréductibles, plus petits, arrivent à batailler voire même à battre des nageurs bien plus grands qu’eux. Mais comment font-ils ? Que peuvent-ils mettre en place pour pallier cette différence de taille ? Quels sont leurs atouts par rapport aux géants ? Natation Magazine a mené l’enquête.

Certains athlètes donnent parfois l’air de lilliputiens faisant face à Gulliver. Une forme de David contre Goliath. Pourtant, une fois dans l’eau et la différence de la terre ferme éloignée, ils se rebellent contre ce déficit et deviennent de véritables félins déchaînés. Mais comment cela est-il possible ? Comment font-ils ? Pour essayer de comprendre ce phénomène, Robin Pla, conseiller technique national à la Fédération française de natation et docteur en sciences du sport, a mis en avant quelques points, tout en précisant « qu’aucune étude spécifique n’a été faite sur le sujet ». En somme, beaucoup de suppositions sont à relever, même si des éléments démontrent des différences entre grands et petits. 

« Quand on fait les statistiques globales, on voit qu’il y a un gros effet de la taille sur la performance. En général, plus on est grand, plus on a de chance d’aller vite. D’autant plus sur le sprint. Cela a été documenté », explique le Coordonnateur des projets scientifiques de l'équipe de France d’eau libre. « Sur les épreuves de sprint, l’influence de la taille compte beaucoup plus que sur le demi-fond, où l’effet taille se voit moins. Dans une certaine mesure, on voit aussi cela avec le poids, même si c’est en partie lié à la taille. » Pour autant, si être grand se révèle être un atout de taille, ce n’est pas une finalité en soi et il existe cependant des « contre-exemples de nageurs plus petits qui s’en sortent, même si les statistiques globales ne le vérifient pas trop. »

La taille est un véritable atout et l’a été dans l’histoire. Pour l’anecdote, Robin Pla raconte que si l’on regarde les champions olympiques du 100 m nage libre, depuis Matt Biondi en 1988, tous font plus d’1m90. Et l’une des particularités physiques des grands, ce sont les mains. Le responsable de l’analyse de la performance explique : « La plupart des grands champions que j’ai côtoyé à la Fédération française de natation avaient tous des mains et des doigts énormes. » Et de préciser : « Nous n’avons pas de données là-dessus mais j’ai l’impression que cela joue un rôle important. La pale est plus grande, comme en aviron et cela permet plus de propulsion derrière. » Une évidence, en soi, car plus grand est l’outil de travail, plus rapide est le résultat. Cependant, il faut savoir emmener cet atout et l’utiliser à juste titre. En comparaison, il prend l’exemple de la dualité des dossistes Mewen Tomac et Yohann Ndoye Brouard. Le premier mesure 1,79 m quand l’autre frôle le double mètre (1,96 m). Un écart abyssal qui n’a pas empêché l’Amiénois de battre sans cesse son comparse lors des derniers championnats nationaux. « Cet exemple résume très bien la situation », pose Robin Pla.

Malgré la grosse différence de taille avec son principal rival (1,79m contre 1,96m), Mewen Tomac est parvenu à battre Yohann Ndoye Brouard sur les trois distances de dos lors des quatre derniers championnats de France - KMSP / Stéphane Kempinaire

 

Laxe, explosivité et fréquence

« Mewen va être beaucoup plus laxe, plus souple que Yohann. Dernièrement il est un petit peu meilleur sur les coulées, sur les virages. Cela lui permet aussi, sur 200 m, même s’ils un des niveaux très proches, d’avoir un coût énergétique plus faible, parce qu’il y a la taille, mais aussi le poids. Il développe moins de force que Yohann qui en développe énormément, presque même plus que Maxime Grousset d’ailleurs, avec vingt kilos de plus. » Alors dans l’eau, le champion d’Europe de Rome en 2022 doit pouvoir emmener ce gros braquet : « Yohann a cette force incroyable sur les bras, mais cela lui prend du temps de faire un mouvement. Quand il met à l’épreuve de la distance, pour lui, c’est plus difficile énergétiquement. » La souplesse, un élément clé donc, mais qui n’est pas le seul facteur compensateur pour les nageurs plus petits. On peut ainsi évoquer le facteur explosivité en prenant l’exemple de Mélanie Henique et son mètre 71, en concurrence notamment avec Sarah Sjöstrom (1,82 m) à l’international. « On voit souvent les nageurs plus petits être plus explosifs sur le plot », détaille l’un des hommes clés du travail de l’ombre des équipes de France. « On voit que Mélanie Henique sort à 0"55 ou 0"56 quand les autres sont à 0"65 ou 0"70. Donc déjà, là, il y a presque quinze centièmes qui sont gagnés. Cela résume bien l’agilité, la souplesse et l’explosivité qui sont favorables pour les plus petits. » Pour ce qui est du reste, la fréquence et le nombre de mouvements de bras vont aussi fluctuer entre les athlètes plus grands et d’autres plus petits. « Ils arrivent aussi à avoir une fréquence de nage plus importante. Ils ont moins de braquet, mais ont la capacité de tourner les bras plus vite donc compensent avec cela », ajoute notre interlocuteur. « On a un tas d’exemples pour montrer que c’est possible. Les Japonais et les Chinois, souvent un peu plus petits, arrivent très bien à compenser cela. »

KMSP
Malgré son mètre 71, Mélanie Henique a conquis trois médailles aux championnats du monde sur 50 m papillon (2 argent et 1 bronze) - KMSP / Stéphane Kempinaire

 

 

Les coulées, solution miracle ?

On l’a compris, il fait bon être grand plutôt que petit pour tutoyer les sommets de la natation mondiale. Mais cela n’est pas forcément valable pour toutes les nages. En brasse, les écarts entre un grand et un petit seraient moins prononcés. « En brasse, on a des nageurs plus petits parce que sur cette nage, cela demande encore plus de qualités techniques et en natation, pour être fort, soit on maximise la propulsion, soit on diminue les résistances. Quand on est plus grand, on arrive à mieux maximiser la propulsion », illustre celui qui dirige parfois une équipe de presque six analystes vidéo. Et d’étayer : « En brasse, cette part entre les deux est plus équilibrée, donc cela peut être plus difficile pour les grands. » Alors viennent peut-être des facteurs plus insidieux, comme les coulées. Cependant, comme il n’existe pas de solution miracle pour cette nouvelle arme fatale de la natation, on ne peut pas dire si les nageurs plus petits sont plus performants ou plus gagnants dans les phases subaquatiques. « Il n’y a pas de standard qui existe », précise directement le docteur en sciences du sport. « Si on compare Léon Marchand à Maggie McNeil, elle, elle fait des coulées avec des ondulations pas du tout amples, ce sont les chevilles qui travaillent, alors que Léon a plus d’amplitude sur son bassin. Et les deux vont très vite. » Et d’ajouter : « C’est pour cela que c’est difficile de trouver un modèle de performance sur les coulées pour nous. On a compris que ce standard dépendait beaucoup de la morphologie et du profilage hydrodynamique. On arrive à mesurer des choses, mais pas à expliquer ce qui est important entre la souplesse, les angles des cuisses ou une telle force appliquée à tel moment. » La solution miracle n’existe pas et elle reste donc dépendant de l’humain et de ses particularités physiques. Robin Pla prévient à ce sujet : « Sans faire trop de philosophie, l’humain est unique. Il a sa morphologie mais aussi sa physiologie, sa psychologie. » De tous ces enseignements, on peut également en venir à se demander si ces évolutions sont dues à une refonte de l’univers natation. Kylian Mbappé a dit « le football, il a changé », mais peut-on dire que « la natation, elle a changé » ? Oui et non, d’après l’analyste de l’équipe de France. « Je suis assez partagé », prévient Robin Pla. « Ce qui est vrai c’est qu’avec les nouveaux outils, ils arrivent à mieux optimiser leurs performances et en faire de meilleures que par le passé. Néanmoins, je penserai toujours que, quand on a dix centimètres de plus, avec des comparaisons de masse, on va trouver un grand qui est souple, comme Michael Phelps en natation ou Victor Wenbanyama au basket. On trouvera des grands qui ont les mêmes capacités que des plus petits. C’est assez injuste, mais on voit bien qu’il y a plus de densité en général. »

Pas parmi les plus grands du plateau, Léon Marchand a notamment axé son travail sur les coulées pour faire des différences - KMSP / Stéphane Kempinaire

 

Parmi ces évolutions qui pourraient expliquer ce resserrement de niveau entre petits et grands, il y a celles de l’entraînement et notamment une meilleure personnalisation et surtout une individualisation. « En ce sens, peut-être que ceux qui sont un peu plus petits peuvent tirer plus bénéfice que des grands », hoche-t-il de la tête. Aussi pour étayer ces changements d’entraînement, on peut revenir dans le passé. Dans les années 1990, « il y avait une nage et celui qui gagnait le 50 m brasse gagnait aussi le 200 m brasse ou en tout cas était bien placé. Pareil pour les autres nages. On était plus sur la technique que sur la physiologie. » En comparaison, avec la dernière décennie, « c’était plutôt l’inverse avec des nageurs qui s’alignaient sur 50 m parce que c’était leur spécialité, idem pour le 400 m nage libre ou 400 m 4 nages. » Et sur les dernières éditions des grands championnats, la donne a encore changé. « Ces derniers temps, c’est un peu des deux. On voit Qin Haiyang (brasse) et Kaylee McKeown (dos) capables de tout gagner, mais on voit encore beaucoup de nageurs ne privilégier que le sprint, etc. » En définitive, la natation a évolué avec son temps et les évolutions globales du monde du sport. « C’est mouvant et ce qui change c’est la professionnalisation, mais ça n’a pas encore tout changé. » Une perspective qui a en tout cas ouvert des portes à une plus grande palette de nageuses et nageurs qui, malgré leur déficit de taille, ont appris à compenser par d’autres facteurs pour pouvoir titiller le top niveau mondial.

 

Louis Delvinquière

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